L’hommage aux victimes des attentats du 13 novembre, aux Invalides, a été l'occasion pour le gouvernement de poursuivre la bataille idéologique pour construire l’Union nationale.
Hollande s’est appuyé sur la tristesse entourant les victimes, ainsi que sur l'horreur des attentats et le légitime rejet de l'idéologie et des actes de Daesh. Il a repris l’idée selon laquelle les terroristes se sont attaqués à de jeunes gens parce qu’ils s’amusaient et vivaient selon des principes contraires à ceux de Daech. Mais un malaise s’est installé au fur et à mesure de la cérémonie. Dès le départ, il y a quelque chose de faux et de manipulateur à choisir les Invalides, lieu des commémorations militaires, pour des civils. Il y a là une tentative assumée d’identifier les victimes à l’armée française qui intervient dans divers pays du monde. Comme si les interventions françaises au Mali, en Irak ou en Lybie avaient pour but de propager les musique et les plaisirs collectifs, et pas de défendre les intérêts des grandes entreprises françaises.
Perlimpinpin et mâles accents
Un deuxième malaise arrive lorsqu’on aperçoit Jean-Luc Mélenchon à un mètre de Marine Le Pen, Anne Hidalgo à côté de Nicolas Sarkozy, Jospin à côté de Raffarin. La Marseillaise, dont le premier couplet est déjà particulièrement guerrier, est chantée dans une version comportant le dernier couplet, où la violence machiste côtoie le discours belliqueux le plus sanglant. «Amour sacré de la Patrie // Conduis, soutiens nos bras vengeurs // Liberté, Liberté chérie // Combats avec tes défenseurs! // Sous nos drapeaux, que la victoire // Accoure à tes mâles accents // Que tes ennemis expirants // Voient ton triomphe et notre gloire!»
On retrouve ici un concentré de ce qui a été la justification de toutes les guerres coloniales ou mondiales dans lesquelles la France a été impliquée : il faudrait faire triompher la liberté contre la barbarie.
Mercredi 25 novembre, la représentation de la France au Parlement européen a d’ailleurs informé la Cour européenne des Droits de l’Homme que l’état d’urgence impliquerait d’enfreindre les Droits de l’Homme. Les manifestations sont d’ailleurs toujours interdites, et le gouvernement prévoit de prolonger l’état d’urgence après la période de trois mois déjà votée. Les restrictions des libertés sont donc considérables.
Panem et circenses
Le discours de Hollande est aussi choquant car il a expliqué avec application que la population devait continuer à s’amuser, à sortir, à assister à des concerts. Cela produit la détestable impression qu’on nous fournit « du pain et des jeux ». Que, pendant que Hollande, Sarkozy, Le Pen préparent une intervention militaire terrestre en Syrie avec Poutine et Bachar el Assad, pendant que la COP 21 va décider de l’avenir de la planète, pendant que les réformes antisociales continuent, il faudrait surtout ne plus s’occuper de politique. Le gouvernement a choisi Perlimpinpin, la chanson pacifiste de Barbara, pour illustrer son propos. Comme par magie, il tente de nous faire passer ce qui est un discours guerrier digne de George Bush pour un discours de paix et de solidarité.
Un parent interrogé par la presse disait sa colère que toutes les personnes listées sur le fichier S n’aient pas été incarcérées avant les attentats. Oubliant que, dans un Etat démocratique, on ne peut heureusement condamner sur la base d’opinions mais sur la base de faits avérés. Oubliant également que le fichier S liste des intégristes… mais aussi des militants écologistes ou anticapitalistes !
Notre superbe drapeau rouge
Hollande a appelé la population à montrer des drapeaux tricolores aux fenêtres aujourd’hui pour marquer la solidarité avec les victimes. C’est oublier un peu vite la responsabilité de ce drapeau, issu de la concorde entre Paris (le bleu), la révolution (le rouge)… et la royauté (le blanc), dans les conquêtes coloniales, les guerres mondiales. Le PCF a utilisé ce drapeau pour justifier l’arrêt des grèves et la nécessité de reconstruire le pays ou de « produire français », le Front national l’utilise aujourd’hui contre la jeunesse des quartiers populaires et pour faire croire à un destin commun entre le grand patronat français et la classe des travailleurs.
Les drapeaux n’ont pas fleuri aux fenêtres de Paris, sans doute car la ficelle est un peu grosse, sans doute parce que beaucoup sont heureusement réticents à l’afficher car ils sentent, confusément sans doute mais, espérons-le, réellement, que l’unité nationale, la fausse homogénéité d’une nation, ne peut être que l’alignement derrière l’idéologie dominante, derrière les puissants, derrière les intolérants, pour la guerre.
Oui, les guerres de la bourgeoisie de France contre ses ennemis, qu’ils soient en Libye, en Syrie ou ailleurs, font des morts, ici comme là-bas. Leurs guerres, nos morts.
Antoine Larrache