Publié le Dimanche 29 octobre 2023 à 18h25.

Darmanin, Benzema et l’ennemi intérieur

L’ampleur de l’offensive politique du pouvoir, avec le ministre de l’Intérieur en première ligne, semble démesurée par rapport à l’enjeu de la guerre en Palestine pour la classe dominante. Il se joue d’autres rapports de force politiques, plus internes.

 

Certes, selon les Échos, « les relations économiques bilatérales montent en puissance entre la France et Israël ». Le journal cite Éric Danon, ambassadeur de France en Israël : « En 2022, pour la quatrième année consécutive, la France arrive en tête des investissements des pays européens en Israël ». Et pour Éric Sayettat, chef de la mission économique de l’ambassade de France : « Toute la chaîne d'expertise française en matière de mobilité est concernée, depuis le tunnelier jusqu'à l'exploitation, de Bouygues à RATP Dev en passant par Keolis, Egis, Artelia et Systra ».

Certes, la France cherche, face au recul de son influence dans le monde et au rapprochement entre les pays arabes et Israël, à préserver ses relations diplomatiques et ne voit plus aucun avantage à faire semblant de défendre même le droit international face à l’État sioniste.

Mais cela ne suffit pas pour expliquer un tel soutien politique et surtout une telle offensive contre les soutiens aux PalestinienNEs en France.

Construire une figure animale de l’ennemi

En réalité, Macron et Darmanin – qui se voit sans doute en successeur poussant la logique libérale et autoritaire de son président – se servent du conflit pour prolonger le tournant entrepris avec l’offensive sur l’abaya. Tout est prétexte à reconstruire la figure de l’ennemi intérieur permettant de discipliner toute une nation. En 2011, Mathieu Rigouste nous prévenait : « certains des présupposés idéologiques essentiels qui structuraient hier les théories contre-subversives appliquées par l’armée française dans les guerres d’Indochine et d’Algérie contribuent à structurer de façon décisive le “nouvel ordre sécuritaire” dans la France d’aujourd’hui. À l’ancienne figure de l’“ennemi intérieur” communiste ou colonial s’est substituée celle d’un “ennemi intérieur postcolonial”, désigné comme à la fois local et global, dissimulé dans les quartiers populaires, surtout parmi les non-Blancs pauvres. »1

Alain Brossat, un an plus tard, expliquait que « tout se passe comme si une certaine figure nébuleuse, plastique, de l’étranger était destinée à jouer, dans l’exercice du biopouvoir [le pouvoir qui s’exerce sur les vivants, NDLR], le rôle que le “fou” générique et tout aussi nébuleux du XVIIe siècle joue dans celui du pouvoir moderne émergent »2.

Dans une conférence de 2014, il raconte comment on construit en miroir la figure de « l’homme à statut, le professeur, le penseur » et du « plébéien sauvage, ce criminel »3 pour construire une entité barbare. Comme le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, décrivant les Palestiniens comme « des animaux humains ».

Contre les ingouvernables

Éric Cantona dénonce 75 ans d’occupation de la Palestine4, mais c’est bien Karim Benzema, pourtant bien moins radical5, qui est attaqué par Darmanin, qui prétend sans aucun élément de preuve que le footballeur serait lié aux Frères musulmans et lui intime l’ordre de condamner le Hamas. Comme il a fustigé le NPA, LFI et les jeunes des quartiers populaires.

Alain Brossat nous rappelle dans une autre conférence que « le racisme est un mécanisme, un moyen de gouverner les vivants. De les rendre gouvernables ». Et, citant Michel Foucault : « le racisme est d’abord le moyen d’introduire, dans ce domaine de la vie que le pouvoir a pris en charge, une coupure. La coupure entre ce qui doit vivre et ce qui doit mourir. Le racisme est donc le truchement par lequel ce gouvernement placé sous le signe général du “faire vivre”, demeure porteur, envers et contre tout, d’un signe de mort »6.

Darmanin le prouve quand il affirme à propos de la « menace terroriste » : « le risque principal, c’est le risque à l’intérieur » et « aucune question taboue si c'est pour être efficace pour protéger les Français ».

Nous voilà prévenuEs : l’interdiction des manifestations – souvent justifiée par la seule présence du NPA ou la dénonciation de la guerre contre les PalestinienNEs –, les enquêtes contre les organisations, les arrestations de jeunes, de personnes racisées, de manifestantEs, tout cela s’inscrit dans la logique du « monopole de la violence légitime par l’État » revendiquée à plusieurs reprises dans l’histoire de ce gouvernement, contre les étrangers et touTEs les non-gouvernables.

  • 1. L’Ennemi intérieur, éd. La Découverte, 2009.
  • 2. Autochtone imaginaire, étranger imaginé : Retour sur la xénophobie ambiante, Éditions du Souffle, 2012.
  • 3. « Michel Foucault, auteur, lecteur, archiviste », conférence d’Alain Brossat, https://webtv.univ-lille…
  • 4. https://www.instagram.co…
  • 5. Il a déclaré sur le réseau social X : « Toutes nos prières pour les habitants de Gaza, victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants ».
  • 6. « Alain Brossat philosophe sur l’autochtone imaginaire et l'étranger imaginé », 2023, https://www.youtube.com/…