Publié le Lundi 11 mai 2009 à 21h42.

HADOPI : les enjeux

Ce qui est toujours bien avec le capitalisme, c'est qu'on n'est jamais dans la nuance : soit on soutien HADOPI, soit on est contre les artistes, contre la protection des auteurs, contre la culture. Capitalisme ou barbarie en quelque sorte. 

Or, le problème est bien plus complexe que cela si on veut bien se donner la peine de le prendre sous tous les angles. 

Déjà, être contre HADOPI n'est pas le privilège de pirates du net qui voudraient piller en toute tranquilité les répertoires artistiques, puisque, à contrario des 140 artistes « de gôche » qui ont envoyé un récent courrier au PS, on retrouve heureusement, des artistes divers allant de Catherine Deneuve, à Iron Maiden ou les ex-Clash, en passant par 150 auteurs internationaux de Science-Fiction, qui sont farouchement opposés à ce projet de loi ou ses équivalents aillleurs. 

Une loi liberticide 

Du nom de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) qu'elle instaure, et qui, grande première, se substituera à l'autorité judiciaire pour prononcer et faire appliquer une peine privative (la coupure d'internet), la liste est longue des énormités qui se cachent dans ce projet de loi. 

Tout d'abord, cette loi ne s'attaquera pas aux pirates mêmes qu'elle prétend traquer,  mais au possesseur de la ligne internet, dont la responsabilité est engagée, et qui est mis en devoir de devenir le propre flic de sa connexion. La responsabilité juridique « pour le fait d'autrui » (dans le cas de piratage de connexion WIFI, ou de plusieurs utilisateurs d'une même connexion), voila une grande première juridique ! Et bien sûr, la solution proposée est l'installation quasi-obligatoire d'un logiciel-espion, payant. On comprend mieux pourquoi les fabricants de logiciels informatiques y sont favorables... 

Ensuite, loin de protéger les plus fragiles parmi les artistes (déjà passablement mis à mal par les réformes de l'intermittence...), les poursuites se feront sur la base des enquêtes menées par des cabinets privés représentants les ayant-droits, donc, comprendre bien sûr ceux qui en ont les moyens, majors du disque et du cinéma, et tant pis pour les petits indépendants ! On comprend mieux pourquoi les majors y sont favorables... 

De plus, loin de réellement protéger les droits d'auteurs, le projet HADOPI s'y attaque, notamment en ce qui concerne les journalistes : au travers d'un amendement, les journalistes, jusqu'à présent rémunérés à chaque publication sur tout nouveau support, pourront voir leurs articles libres d'être utilisés à l'envie par les  groupes de presse pour une seule et unique rémunération. On comprend mieux pourquoi les patrons de presse y sont favorables... 

Enfin, le coût estimé de la mise en place de la loi, s'élève à plus de 35 millions d'euros par an (fichage, traçage des adresses IP, avertissements envoyés, etc.). Offrir un tel chèque annuellement à des services privés de police du net, on comprend mieux pourquoi le gouvernement y est favorable... 
 

Une crise culturelle ? 

Puisque les tenants de l'HADOPI y voient une bouée de sauvetage pour un secteur « en crise », regardons de plus près : recettes historiques en 2007 de la SACEM sur la perceptions de droits, fréquentations records dans les salles, marché de la musique en progression constante, on est loin d'un secteur sinistré au bord du gouffre.

Pourtant, il y a effectivement une crise, mais c'est celle d'un modèle économique, celle du support matériel à l'heure d'Internet et des nouvelles technologies. Les majors ne s'y sont d'ailleurs pas trompées, si l'on en croit l'augmentation récente des prix des places de concert, pour pallier à la déperdition des recettes du disque.

Rien à voir donc, avec le piratage, mais bien avec une réelle évolution technologique : c'est à la fin du modèle « Gutemberg » que nous assistons, celui de la reproduction massive d'un produit culturel matériel. Et aucune loi ne pourra remédier à cette évolution,qui est tout autant une évolution technologique qu'une évolution des habitudes et moeurs culturelles. 

Car derrière tout ce débat ce sont des questions très politiques qui se posent, et pas qu'en France, si l'on en croit l'actualité de ce débat dans à peu près tous les pays: notion de propriété, accès de toutes et tous à la culture, économie de la production culturelle, statut social des artistes et rémunération, libertés démocratiques ... 

Et donc, les réponses à apporter sont elles aussi un peu plus complexes. 
Car il n'est pas possible non plus de proposer un modèle « clé en main » avec paiement d'un supplément par l'abonné internet pour avoir accès aux catalogues culturels : substituer ainsi, en tant que source de rémunération sans lien de subordination spécifique ni contrat, les fournisseurs d'accès aux employeurs des artistes et auteurs, revient à affaiblir le lien spécifique entre l'artistes et son employeur, et donc la protection sociale qui en découle, tout comme leur statut de salarié. Pas si simple... 

Car si l'on voit bien où sont les intérêts financiers de la loi HADOPI, on voit aussi qu'il existe de nombreuses solutions pour assurer une juste protection et rémunération aux artistes : la fin de la transmission patrimoniale des droits d'auteurs, refondus, après la mort des auteurs, en une enveloppe globale d'aide à la création culturelle; une taxe sur le chiffre d'affaire des principaux bénéficiaires de la manne culturelle (les fabricants de matériel informatique, fournisseurs d'accès et autres), qui viendrait financer l'emploi et les salaires des travailleurs de la culture; le développement de médiathèques publiques, physiques ou numériques, permettant une réelle démocratisation culturelle; des licences ouvertes sur les nombreux modèles existants d'ores et déjà (creative commons, ...). Bref, un véritable service public de l'internet et de la culture...

Et là, on comprend mieux pourquoi ni les majors du disque ou du cinéma, ni le MEDEF, ni les patrons de presse, ni le gouvernement, n'y sont favorables.