Publié le Mercredi 25 novembre 2020 à 11h43.

Intervenir dans la classe ouvrière ?

Dans le Manifeste communiste écrit par Marx et Engels en 1848, deux classes, pour l’essentiel, s’affrontent : le prolétariat et la bourgeoisie. De la Révolution de 1848 à la Révolution russe en passant par la Commune de Paris, les choses allaient s’avérer plus compliquées. Le prolétariat de 1848 et de 1871 est loin des grandes masses prolétariennes imposant par la grève générale la dictature du prolétariat. Et dans la Russie de 1917, la paysannerie était majoritaire, et il fut bien difficile de faire du prolétariat déstructuré par la guerre, la misère, la famine… le maître de sa révolution.

Prendre pied dans la classe ouvrière

Cependant, à partir de l’Angleterre, des États-Unis et de l’Allemagne du début du 20e siècle, jusqu’au milieu des années 1970, la taylorisation et le fordisme vont façonner le prolétariat comme un grand ensemble de travailleurEs potentiellement capable de renverser dictature patronale et État bourgeois. Malgré la répression patronale, les mobilisations et le développement de puissants syndicats et partis ouvriers vont imposer comme une évidence la reconnaissance de la classe ouvrière dans les espaces économique, social, politique et culturel.  

Pour les organisations révolutionnaires, militer au sein de la « classe » est une évidence. La domination de bureaucraties, notamment stalinienne, violemment hostiles, va souvent leur imposer clandestinité et/ou affrontement et limiter leur audience même dans les périodes de grande montée des luttes (Juin 36, après la Seconde Guerre mondiale, Mai 68).

Trotskistes, anarchistes puis maoïstes vont déployer énergie et obstination pour prendre pied dans la classe ouvrière et construire des interventions régulières dans les entreprises et les lieux de travail en général : distribution de tracts, discussion avec les travailleurEs, popularisation des grèves, embauche de militantEs… Cet effort a plus ou moins payé et les révolutionnaires ont apporté (et apportent toujours) leur contribution aux luttes et au lent travail de constitution de la conscience de classe.

Aider aux clarifications indispensables

L’enjeu réside dans la transformation du statut de classe dominée à celui de classe capable de prendre sa place dans le renversement de l’ordre capitaliste. Les mobilisations antiracistes, celles du mouvement féministe – tout comme les difficultés rencontrées par les luttes dans la santé ou récemment dans l’éducation nationale – ont aussi mis en lumière les fracturations qui existent dans la classe ouvrière. Quand, dans une entreprise, il y a 70 ou 80 % de grévistes, cela signifie qu’une majorité de travailleurEs de la production ont cessé le travail. Mais c’est souvent « oublier », d’un côté, les intérimaires, sous-traitants sur site, etc., et, de l’autre, les employéEs des services administratifs, les fonctions support, les bureaux d’étude ou l’ingénierie, de plus en plus majoritairement des femmes, soumis au joug et à l’idéologie dominante des managers. Pour ce qui est de ces dernières catégories, c’est soit les rejeter dans les catégories de couches intermédiaires, de classes moyennes et risquer d’entériner des divisions dans l’entreprise, soit les subordonner à des classes aux intérêts distincts.

Des Bonnets rouges en Bretagne, à travers la construction du « Pôle ouvrier », aux Gilets jaunes, des mobilisations parmi les plus significatives de ces dernières années, ces délimitations se sont posées. En enregistrant le constat qu’aucun mouvement n’est « chimiquement pur », le rôle des révolutionnaires est d’aider aux clarifications indispensables. Pour cela, il faut être présentEs, être reconnuEs à la fois par la participation aux tâches de la lutte et aux débats qui traversent les mouvements.

Une politique volontariste

La (re)construction de la conscience de classe (le passage de classe « en soi » à « pour soi ») de la classe ouvrière passe de façon incontournable par les luttes, en ne différenciant pas outre mesure les luttes défensives des luttes offensives. Mais des luttes où la confiance construite par des succès même partiels permet d’envisager d’autres luttes et de faire progresser le niveau de conscience. Si le déclenchement d’une lutte est rarement à l’initiative des militantEs révolutionnaires (et même des responsables syndicaux), leur présence est une nécessité pour tenter de gagner en se donnant les moyens de la construction du rapport de forces au travers de batailles pour l’unité des travailleurEs et l’auto-organisation.
Dans le même temps, pour permettre cette présence, l’organisation anticapitaliste et révolutionnaire doit avoir une politique volontariste faite d’interventions régulières dans les entreprises et dans tous les lieux de travail ainsi que les lieux de regroupement des jeunes travailleurEs en formation. Et doit mettre en place un fonctionnement adapté aux conditions de travail et de vie des salariéEs et des outils de formation eux aussi adaptés.