Publié le Lundi 22 novembre 2021 à 06h14.

Le dictionnaire et la chicorée*

Nous sommes en guerre ! Si si. En tout cas, on pourrait s’attendre à revoir Macron nous répéter son discours du Covid, mais cette fois pour beaucoup plus grave : le dictionnaire Robert a ajouté un nouveau mot, iel (« Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre »).1

Nouveau ? Pas vraiment, cela fait plusieurs années que des personnes trangenres et d’autres ont inventé des façons de se désigner de façon non binaire, sans être identifiées au genre féminin ou masculin. Et peu à peu, iels ou celleux est utilisé pour remplacer le « elles et ils » ou « celles et ceux », un peu lourd et long à dire et écrire quand on veut signaler que dans la manif il y avait des femmes, des hommes et des personnes qui ne voient pas le monde en mode binaire homme/femme.

Mme Macron a affirmé qu’il n’y avait que deux pronoms personnels, il et elle. Et dans la phrase suivante, elle en employait un troisième : on. Et nous l’avons toustes appris : on est un pronom indéfini. Indéfini… comme iel

Les torrents de haine et de bêtise répandus à l’occasion ont l’immense avantage de faire connaître largement le mot iel et les idées émancipatrices qu’il porte. Un académicien vomit dans le Figaro que « introduire le pronom factice iel … n’est que la queue de comète … de l’écriture inclusive. On aurait tort de prendre à la légère ces entorses folkloriques faites à notre langue, elles sont les symptômes d’un mal profond. On le sait depuis toujours, les langues contiennent des valeurs essentielles » « Une langue comme l’appartenance à un pays, c’est un bien commun. Pour bénéficier de leur protection et des avantages qu’elles nous procurent, on accepte de se soumettre à leurs lois, à leurs règles, à leurs coutumes. » Toute cette agitation n’est donc que la dernière façon de nous ordonner de changer de prénom, de ne pas porter de burkini, de ne pas penser que le racisme est systémique, d’apprendre le latin-grec pour suivre « nos » traditions judéo-chrétiennes… bref de ne pas être woke (éveillé !).

L’ineffable Blanquer qui pense que renforcer l’enseignement de langues mortes2 va protéger la famille, le travail et la patrie… déclare que « l’écriture inclusive n’est pas l’avenir de la langue française ». On pourrait attendre d’un ministre de l’Éducation un peu plus de connaissances linguistiques : l’avenir d’une langue c’est l’usage, les mots qui sont employés par les personnes qui parlent cette langue, soit parce qu’un mot apparaît et qu’il est repris massivement, soit parce que, comme pour l’écriture inclusive, de plus en plus de personnes insistent pour parler une langue permettant de penser et de dire autrement que « le masculin domine ». Et c’est aussi ainsi que beaucoup de mots venus de langues étrangères sont devenus des mots français – dont un très grand nombre de mots arabes…

Encore une citation, celle du député Jolivet, qui a lancé l’affaire et qui ose dire que le français serait ainsi « souillé ». La France « souillée » par les transgenres et les écriveur·es inclusif·es…

Et si vous êtes énervé·es, ou indifférent·es, par ce iel, dites-vous que c’est bientôt Noël et ses catalogues de jouets, pages roses pour les filles et bleues pour les garçons… et qu’il faut vraiment se battre pour un monde en iel !

* Eh oui, LE dictionnaire c’est LArousse et LA chicorée c’est LEroux… le français est plein de contradictions !