Publié le Lundi 12 juillet 2010 à 20h31.

RESF : un objet politique indispensable

Le Réseau éducation sans frontières (RESF) vient de souffler sa sixième bougie. Il est né à la Bourse du travail de Paris le 26 juin 2004, lors d’une réunion rassemblant une centaine de militants syndicalistes, enseignants, parents d’élèves, antiracistes et collectifs de sans-papiers. Ce n’est pas une association antiraciste de plus. Ce n’est pas non plus un simple cartel d’organisations, pas plus qu’un super-collectif anti-expulsions. Cet objet politique non identifié est avant tout un « réseau », c’est-à-dire un mouvement mettant en relation militants syndicaux (CGT, FSU, Solidaires notamment), associatifs (parents d’élèves FCPE, LDH, Cimade, Gisti, Mrap, etc.) et simples citoyens. En tout, plus de 200 organisations de toutes tailles le composent. Soutenu dès sa création par la gauche de gauche, il a été rejoint plus récemment par le PS. Impossible de quantifier les militants du réseau : tout militant syndical ou associatif, tout enseignant ou parent d’élève, tout habitant du quartier concerné est potentiellement membre du réseau. L’appel fondateur est né d’un pari : les communautés scolaires n’allaient pas laisser se déployer sans réagir la persécution des élèves sans papiers et de leurs familles. Les fondateurs l’avaient expérimenté dans des collectifs locaux précurseurs de ce qu’allait devenir le RESF : collectif de défense des élèves étrangers de l’académie de Créteil, collectif du lycée de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine)… Peu de temps après, le pari fondateur du réseau était largement tenu. Le RESF a rapidement prouvé son efficacité. La surenchère des lois répressives l’a rendu indispensable et a paradoxalement contribué à son extension. Extension numérique, tout d’abord, résultat direct de la politique du chiffre : entre 2002 et 2006, le nombre annuel de reconduites à la frontière est passé de 12 000 à 24 000. En 2007, pour 25 000 expulsions, un objectif de 125 000 interpellations était fixé. Puis 26 000 en 2008 et 30 000 aujourd’hui. Autant de drames humains qui ne pouvaient épargner les écoles et les quartiers. Extension du « domaine de la lutte », ensuite : fondé initialement sur la thématique des lycéens sans papiers, le RESF s’est rapidement attaqué à la question des parents d’élèves sans papiers, qui est devenue son principal domaine d’action. Extension géographique enfin, puisqu’il s’est étendu dans tous les départements de France, dans les outre-mers, notamment en Guyane, voire au Maroc et en Belgique. Si le RESF est devenu une référence, c’est par sa capacité à imposer des reculs au pouvoir. En octobre 2005, le ministre de l’Intérieur Sarkozy, qui jouait les matamores en vue des présidentielles, avait dû éditer une circulaire dans laquelle il recommandait de repousser l’expulsion des parents d’élèves à la fin de l’année scolaire. Lorsque le RESF a saisi la balle au bond en faisant de ce premier recul une menace « d’ouverture de la chasse à l’enfant » à partir de juillet 2006, Sarkozy a reculé une deuxième fois avec une circulaire de régularisation exceptionnelle de parents d’élèves. Il a voulu limiter le nombre de parents régularisés à 6 000, mais en réalité beaucoup plus ont accédé à un titre de séjour. Au même moment, l’évacuation du squat de Cachan, que Sarkozy a cherché à instrumentaliser pour montrer du muscle, a suscité une forte mobilisation, à laquelle le RESF a fortement contribué, et qui l’a contraint à un nouveau recul. Pour autant, le RESF ne prétend pas se substituer au mouvement des sans-papiers et aux collectifs d’auto-organisation des principaux intéressés. Si son action est centrée sur les sans-papiers régularisés et leur famille, c’est pour ouvrir une brèche dans le dispositif de « l’immigration choisie ». Les enseignants et les parents d’élèves qui se mobilisent, qui parfois se mettent en travers des fourgons de police, comme devant l’école Rampal (Paris 19e), ou qui se précipitent dans les aéroports pour informer les passagers et l’équipage d’un avion, ne sont pas au départ des habitués des manifestations de sans-papiers. Ils découvrent la réalité des politiques anti-immigrés et expérimentent une action collective de solidarité souvent pour la première fois. La force du réseau, c’est d’avoir contribué à modifier le regard porté sur les sans-papiers et d’avoir fait reculer les fantasmes sur le « clandestin ». Le sans-papiers, ce peut être cet élève que rien a priori ne distingue de son voisin de pupitre, ou le parent qui vient chercher son enfant à la sortie de l’école, participe à la fête de fin d’année ou à l’organisation d’une fête d’anniversaire. C’est d’ailleurs pourquoi l’exemple du RESF a été invoqué pour d’autres expériences de lutte. Un peu sur le même modèle, mais dans des conditions plus difficiles, un petit frère est né : le Réseau université sans frontières (RUSF), pour les étudiants sans papiers. Plus récemment, avec l’aide de la Cimade, s’est créé Les Amoureux au ban public pour venir en aide aux couples mixtes traqués par l’obsession des prétendus « mariages blancs ». Aujourd’hui, les grèves de travailleurs sans papiers, dont le premier acte a été lancé par la CGT et Droits Devant !! en 2008, ont regroupé pour son deuxième acte, onze organisations syndicales et associatives dont… le RESF. Là encore, le but est de modifier le regard de la société en montrant que les travailleurs sans papiers contribuent à la création de richesses et que leur travail est indispensable dans bien des secteurs : « On bosse ici, on vit ici, on reste ici ». Le RESF, comme ces autres expériences auxquelles il participe, lutte contre les représentations racistes. Le sans-papiers, qu’il soit lycéen, parent d’élève, voisin, travailleur, c’est l’autre nous-mêmes. En recherchant systématiquement l’unité contre le gouvernement, le RESF dérange. Il a cherché une sortie « par le haut » de la crise résultant de l’occupation de la Bourse du travail par la coordination parisienne des collectifs et de son évacuation par la CGT. Il est pleinement engagé dans la solidarité concrète avec les travailleurs sans papiers en grève, et a en même temps soutenu les marcheurs sans papiers de la rue Baudelique vers le sommet de la Françafrique à Nice. C’est peut-être aussi ce souci de l’unité qui le met en ligne de mire du gouvernement. On se souvient des discours haineux de Frédéric Lefebvre après l’incendie du centre de rétention administrative de Vincennes, demandant l’interdiction du réseau. Weiss, dirigeant des « jeunes » de l’UMP, affirmait même que le réseau était une « organisation quasiterroriste ». Le gouvernement incite les préfets à traîner devant les tribunaux les citoyens qui expriment leur rejet des rafles et de l’enfermement des enfants, comme ce fut le cas pour les six de Pau. Le pouvoir se sent « outragé », comme si le mot rafle n’avait pas préexisté à celle du Vel-d’Hiv. Laissons la droite se couvrir de ridicule et participons activement aux initiatives du RESF. Infos, communiqués, pétitions sur : www.educationsansfrontieres.org