Penser l’utilité de notre organisation dans une phase de reflux critique du mouvement social et d’exacerbation des contradictions du capitalisme, oblige à repenser nos modalités d’implication dans les luttes, au-delà des schémas issus de la période des Trente glorieuses.
Lors de la fondation du NPA en 2009, nous écrivions dans nos principes fondateurs : « Si nous décidons de nous constituer en parti, c’est parce que nous voulons agir de façon utile, structurée et cohérente. Sans nous substituer aux luttes sociales, nous devons les impulser, y participer pleinement, y proposer nos idées et y faire nos propositions d’action car nous savons que c’est par la mobilisation la plus large possible que l’on peut stopper l’offensive capitaliste, imposer des avancées sur le terrain social, démocratique et écologique, ouvrir la voie au socialisme ». Notre parti se veut utile dans le combat général de la lutte des classes, et c’est aussi en lien avec les luttes qui lui sont liées que nous envisageons notre propre dépassement, la construction d’un parti de classe, un parti pour la révolution.
En attendant la grève générale insurrectionnelle, luttons !
La période actuelle est marquée par des défaites dans une situation où les contradictions du capitalisme sont exacerbées et ses marges de manœuvre assez faibles. Le recul des organisations du mouvement ouvrier, la montée des idées réactionnaires, marquent un rapport de force dégradé. Pour autant des luttes existent non seulement dans le champ direct de la production mais surtout en marge de celui-ci. Nous sommes partie prenante de ces mouvements dans un aller-retour permanent tant sur le fond que sur la pratique. En tant qu’organisation, nous y apportons une mémoire des luttes antérieures, un lien avec les générations précédentes. Nous participons à clarifier un rapport aux institutions, à l’État d’autant plus facilement que de nombreuses luttes sont déjà subversives et radicales. Sur la structuration, nous portons les débats sur les questions de démocratie, de pérennité des cadres. Les expériences d’auto-organisation nous intéressent dans une perspective autogestionnaire et nous apportons de notre côté des éléments sur l’efficacité politique d’un centralisme démocratique nécessaire à l’extension et à la structuration de mouvements nationaux et qui font cruellement défaut aujourd’hui. C’est clairement le cas dans le mouvement féministe qui se trouve sans direction autonome du mouvement ou avec l’absence de coordination des boîtes en lutte face aux licenciements.
Les réseaux sociaux tentent partiellement de répondre à ces problématiques de circulation de l’information et de coordination des actions en permettant parfois de court-circuiter bureaucratie et verticalité des décisions. Mais leur caractère éphémère et anti-démocratique pèse de manière contre-productive dans la durée. Il y a un enjeu à mettre ces outils sous contrôle de celleux qui luttent.
Les faibles niveaux de structuration et de démocratie sont liés au recul de la conscience de classe, et sa reconstruction est une des tâches essentielles de l’heure mais nécessite des expériences collectives. C’est le sens de notre détermination à construire loyalement les organisations de masses, que ce soit les syndicats ou les associations féministes, anti- racistes, LGBTI, antifascistes. L’implication des militant dans les luttes et les organisations de masse permet d’avoir une compréhension globale de la situation, d’appréhender plus largement la réalité que ce que nous représentons numériquement. C’est une condition nécessaire pour ne pas tordre la réalité. En parallèle de cette mise en commun de nos expériences, les discussions au sein du parti permettent de coordonner nos actions, d’articuler nos interventions, d’être plus efficaces dans la réalisation des objectifs que nous nous fixons pour faire avancer la lutte contre l’exploitation et les oppressions.
La période d’instabilité que nous connaissons rend difficile la prédiction des explosions sociales. Si ces déclenchements dépendent peu de notre activité, en revanche leurs développements sont liés à tout le travail antérieur. Rosa Luxemburg écrit à propos de la grève des ouvrier·es du textile consécutive au chômage imposé pour le couronnement du tsar en 1896 : « Nous voyons déjà ici se dessiner tous les caractères de la future grève de masse : tout d’abord l’occasion qui déclencha le mouvement fut fortuite et même accessoire, l’explosion en fut spontanée. Mais dans la manière dont le mouvement fut mis en branle se manifestèrent les fruits de la propagande menée pendant plusieurs années par la social-démocratie. »1
Enfin pour finir avec un point essentiel : nos intérêts n’étant pas différents de ceux de la population et des travailleuses et travailleurs, notre participation aux luttes actuelles ne se place pas que dans une perspective à moyen ou long terme mais aussi dans les nécessités sociales et écologiques immédiates qui nous concernent directement.
Éviter les écueils, faire face aux difficultés actuelles
Le positionnement des militant·es révolutionnaires dans les organisations de masse et dans les mobilisations est une question cruciale et fait partie des débats qui divisent l’extrême gauche. Lénine écrit: « On ne peut vaincre avec l’avant-garde seule. [...] pour que vraiment la classe tout entière, pour que vraiment les grandes masses de travailleurs et d’opprimés du Capital en arrivent à une telle position [d’appui direct à l’avant-garde], la propagande seule, l’agitation seule ne suffisent pas. Pour cela, il faut que ces masses fassent leur propre expérience politique. »2 Allant dans ce sens, les principes fondateurs du NPA indiquent : « Dans [les mobilisations], nous défendons le principe de l’auto- organisation : il est essentiel que ce soient celles et ceux qui agissent, qui décident de l’orientation, des formes de leurs luttes et de leur direction ». Cette question fait partie des éléments qui ont conduit à la scission du NPA en 2022. Que ce soit du côté substitutiste du courant Anticapitalisme & Révolution ou de la tactique de recrutement des franges radicalisées tout en restant en extériorité aux organisations de masse de la fraction l’Etincelle, il y a une incompréhension de la nécessité que les « masses fassent leur propre expérience politique » et que les révolutionnaires en soient partie prenante.
En l’état actuel d’un rapport de force très dégradé, le volontarisme de quelqu’un·es ne peut compenser les reculs de la conscience collective. C’est sur ce point essentiel que nous cherchons à agir. Le recul du syndicalisme est un élément qui pèse lourd dans nos difficultés à arracher des victoires au patronat, face aux gouvernements. En corollaire de ce faible niveau d’organisation, la structuration des mobilisations se fait plus « volatile » : assemblées générales féministes, collectifs écologistes, collectifs antiracistes, Gilets jaunes, etc. Les relations avec les organisations structurées sont basées sur la méfiance réciproque. Nous n’opposons pas ces différentes formes, au contraire : nous voulons les faire dialoguer pour conjuguer radicalité et structuration, massification et démocratie, anciennes et nouvelles générations militantes, mouvement ouvrier traditionnel et mouvement féministe, écologiste, des quartiers populaires…
Il peut parfois aussi y avoir des contradictions importantes en termes de revendication, par exemple entre lutte écologique et lutte pour l’emploi. L’urgence sociale et écologique nous oblige à dépasser cette contradiction. Avec d’autres, nous défendons une orientation qui allie exigences environnementales, de santé publique, de conditions de travail et d’emploi et qui remet en question les fondements même du système capitaliste productiviste. Ce qui est clair, c’est que le stade actuel du capitalisme, l’exacerbation de ses contradictions, appelle des réponses globales et radicales. Des luttes à la révolution, la marche est haute et c’est aussi le rôle d’un parti révolutionnaire de tracer cette perspective.
Des luttes à la révolution, un parti utile, unitaire et révolutionnaire
Rosa Luxemburg énonce les choses d’une façon claire : « La social-démocratie est l’avant-garde la plus éclairée et la plus consciente du prolétariat. Elle ne peut ni ne doit attendre avec fatalisme, les bras croisés, que se produise une ’situation révolutionnaire’ ni que le mouvement populaire spontané tombe du ciel. [...] Pour entraîner les couches les plus larges du prolétariat dans une action politique de la social démocratie, et inversement pour que la social-démocratie puisse prendre et garder la direction véritable d’un mouvement de masse, et être à la tête de tout le mouvement au sens politique du terme, il faut qu’elle sache en toute clarté et avec résolution, fournir au prolétariat allemand pour la période des luttes à venir, une tactique et des objectifs. »3
Il faut être en capacité de proposer à chaque instant d’une mobilisation des mots d’ordre qui soient des points d’appui, des échéances pour construire le mouvement, redéfinir les objectifs immédiats au fur et à mesure. Ce n’est pas tâche aisée et demande une expérience qu’il est difficile d’acquérir dans des périodes de reflux des luttes. Les militant·es qui dirigent les mouvements doivent avoir la préoccupation permanente d’anticiper le coup d’après, de se soumettre à la validation des structures démocratiques de la mobilisation. Parfois ce que l’on propose est minoritaire et cela signifie que ce n’est pas en adéquation avec le moment du mouvement, ou pas pertinent ou encore que la mobilisation n’est pas en mesure de se l’approprier. Les débats sur les questions tactiques sont la réfraction des différents niveaux de conscience. Ils sont absolument nécessaires à l’homogénéisation, il n’y a pas de raccourci possible. De la bataille locale et limitée à la grève générale, nous avons la volonté raisonnée de construire l’unité du prolétariat et de ses organisations. C’est une des conditions nécessaires à un processus de transformation révolutionnaire de la société.
Dans cette perspective, nous tentons toujours de proposer une stratégie unifiante face à l’atomisation des luttes et des résistances et partant du niveau de conscience de notre classe tel qu’il est pour l’élever et le radicaliser. Pour reprendre le mot de Bensaïd, nous concevons « le parti comme une boîte de vitesse », capable tout autant de s’inscrire dans le temps long de la lutte que de saisir le moment pour radicaliser et généraliser l’affrontement avec la bourgeoisie. Luttes politiques, luttes économiques, batailles électorales, nous choisissons rarement les terrains, mais nous avons la volonté de les articuler et de réintégrer chaque lutte contre l’injustice, chaque résistance, dans le cadre général de la guerre de classe et de l’émancipation du prolétariat.
La force des militant·es politiques tient à leur capacité à penser les objectifs immédiats des batailles en cours en articulation avec des perspectives plus larges pour une généralisation et une radicalisation des mobilisations : une souplesse d’adaptation à la réalité du niveau de conscience et d’organisation sans perdre ses repères par rapport au système capitaliste et à ses institutions. Sur les licenciements par exemple, nous pouvons être amenés à défendre une intervention de l’État, un projet de SCOP, une reconversion, une intégration au service public sans perdre de vue l’interdiction des licenciements, la réduction du temps de travail et in fine l’abolition du salariat ! De même sur les modalités du mouvement, de l’interpellation des éluEs à l’occupation du lieu de travail, le chemin est long et tortueux vers la grève générale insurrectionnelle !
Rosa Luxemburg développe largement l’articulation entre luttes sociales et politiques : « Lorsque la lutte politique s’étend, se clarifie et s’intensifie, non seulement la lutte revendicative ne disparaît pas mais elle s’étend, s’organise, et s’intensifie parallèlement. Il y a inter action complète entre les deux.
Chaque nouvel élan et chaque nouvelle victoire de la lutte politique donnent une impulsion puissante à la lutte économique [...] Et inversement, la guerre économique incessante que les ouvriers livrent au capital tient en éveil l’énergie combative même aux heures d’accalmie politique; [...] En un mot la lutte économique présente une continuité, elle est le fil qui relie les différents nœuds politiques; la lutte politique est une fécondation périodique préparant le sol aux luttes économiques. »4
Un nouveau parti pour un nouveau cycle
En 2009, nous avons fait le pari que le cycle de luttes ouvert par 1995 et les scores de l’extrême gauche aux élections présidentielles de 2002 et 2007 seraient un tremplin suffisant pour fonder une nouvelle organisation dépassant largement la LCR, rassemblant anticapitalistes et révolutionnaires. Nous nous fixions « Deux tâches complémentaires [qui] se combinent : développer les luttes sociales, [...] construire un parti politique pour défendre un programme global d’émancipation. »
Bien que les années qui ont suivi aient été marquées par un reflux des luttes et que cela ait pesé sur l’évolution du NPA, le choix du dépassement de la LCR correspondait à ce que des révolutionnaires pouvaient tenter dans la période pour participer à la reconstruction d’un parti pour notre classe sociale.
Quinze ans après, il s’agit de réactualiser notre analyse de la situation, notre orientation et le projet politique du NPA sans rien lâcher sur la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société, de notre projet éco-socialiste. Mais les évolutions des modalités d’exploitation du prolétariat entraînent une évolution des formes de résistance et d’organisations. Le modèle d’affrontement des Trente glorieuses correspond finalement à une très courte période du capitalisme. La précarisation des classes laborieuses à tout point de vue recentre les batailles autour de lieux de solidarité qui peuvent être plus proches des lieux de vie que des lieux de travail comme cela a été le cas avec les Gilets jaune. Les conditions de lutte sont d’une certaine façon plus proche de celles du 19e siècle ou du début du 20e siècle. Des barricades de 1848 aux bourses du travail, des émeutes à la grève générale, il nous faut réinventer nos luttes pour retrouver le chemin d’un processus révolutionnaire. C’est le rôle d’un parti des luttes, outil pour la révolution d’y participer. Et la preuve de son utilité se juge sur sa capacité à peser sur le cours de la lutte des classes, à entraîner et radicaliser. En gardant à l’esprit que « l’histoire en général, et plus particulièrement l’histoire des révolutions, est toujours plus riche de contenu, plus variée, plus multiforme, plus vivante, ’plus ingénieuse’ que ne le pensent les meilleurs partis, les avant-gardes les plus conscientes des classes les plus avancées. »5