Avec Jean-René Chauvin, c’est le plus vieux trotskiste français qui vient de disparaître. Il avait quinze ans quand il adhéra au Parti ouvrier internationaliste (POI) en 1935. Quand il fut arrêté en février 1943, démobilisé depuis 1941, ses papiers étaient si parfaitement en règle qu’il pouvait être le courrier du parti entre les deux zones : sans un papier en poche, tout dans la tête, des adresse et des documents. Mais il avait été fiché par la police française au cours d’une manifestation dans les années trente, ce qui lui valut arrestation dans une rafle, torture par nos flics qui le livrèrent à la Gestapo pour le faire parler. Sa résistance fit penser qu’il ne savait rien, et il fut ainsi envoyé en camp de concentration. Mauthausen, Buchenwald, Auschwitz, coupés de marches de la mort : un record ! Heureusement athlète, il a tenu grâce à un moral de fer : le trotskiste attendait l’inévitable défaite du nazisme. Libéré par l’avance de l’Armée Rouge, il rentre en France en fâcheux état, mais reprend immédiatement la lutte militante avec le même moral et la même énergie, s’astreignant pour tenir à une discipline de vie rigoureuse, solidement soutenu par Jenny, sa compagne, liée à lui en un quasi seul être. Les cahots politiques de la vie de notre organisation d’alors, le Parti communiste internationaliste (PCI), vont faire de lui souvent un franc-tireur, car il supporte mal la discipline et ce qui lui semble être des orientations fausses. 68 nous le rendra à la Ligue, toujours à éclipses, mais toujours compagnon fidèle et fraternel, gardien de la continuité et du souvenir. Car il se distinguait par le mélange de la fougue et de la droiture. Son expérience des camps l’avait obsédé. Comment comprendre ce phénomène. Il avait mis en fiches tous ceux qui avaient existé et existaient encore. Ce ne fut que tardivement, en 2006, qu’il donna enfin en son seul livre, Un trotskiste dans l’enfer nazi (éditions Syllepse), à la fois comment il vécut et survécut à cet enfer, et sa théorie du rapport de ce système au capitalisme impérialiste et au stalinisme. Il est tombé très peu de temps après sa dernière manifestation. Le militant de fer était l’ami le plus sûr.Je dédie cet hommage à Jenny et à la jeune génération révolutionnaire.Michel Lequenne