En mai 2012, lorsque Manuel Valls accédait au ministère de l’Intérieur en roulant des épaules, se revendiquant hautement du briseur de grèves Georges Clemenceau, je m’étais permis cette petite insolence dans mon bulletin mensuel, Que fait la police : « Après l’eau de Vichy, l’eau de Valls ! » Je ne m’étais pas vraiment trompé sur les qualités répressives de ce rejeton d’immigrés espagnols qui, à l’image d’un autre enfant d’immigré, Nicolas Sarkozy, se montre Français à l’excès.
Nous avons pu voir, suite aux attentats du 13 novembre 2015, quel pouvait être le comportement des policiers lorsque l’on se hasarde à leur donner trop de pouvoir. En effet, faute de trouver des hordes de terroristes, nos gardiens de l’ordre public ont surtout fait la chasse à des militants au cours de manifestations non autorisées, se livrant même à des visites à domicile, avec portes enfoncées chez des écologistes hautement suspectés de vouloir ébranler la République des nantis.
Activisme policier
Parmi les diverses mesures prises dans l’urgence par la fine équipe Hollande-Valls, il y avait ce couvre-feu qui ne pouvait que rappeler de très mauvais souvenirs nous renvoyant à la guerre d’Algérie par exemple, mais également à la période de Vichy, lorsque les Juifs, désormais décorés de l’abominable étoile jaune, se voyaient interdits de quitter leur domicile entre 20 heures et 6 heures du matin. Comment ne pas rappeler également que, dès 1941, le gouvernement de Vichy décidait de retirer la nationalité française aux Juifs naturalisés après 1936.
D’une période à l’autre, les dérives autoritaires sont nombreuses, et en novembre 2015, nous avons pu assister à ces assignations à résidence dont étaient victimes un certain nombre de militants, obligés par ailleurs de pointer plusieurs fois par jour au commissariat de leur quartier. Comme l’activisme policier n’a pas de limites, des milliers de perquisitions, sans résultat, avaient surtout pour objectif de montrer au bon peuple de France que ses gouvernants socialistes avaient bien la nuque raide.
En réalité, pour notre police républicaine, il n’y aurait pas de différence entre les militants écologistes s’opposant à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le possible porteur d’une ceinture d’explosifs décidé à massacrer tous ceux qui pourraient se trouver dans son environnement. D’où cette volonté de criminaliser quiconque ose mettre en cause cet état d’urgence mis en œuvre au pays des droits de l’homme.
« Le sale boulot »
Que dire de ce débat sur le retrait de la nationalité française à ces binationaux ayant failli, tandis que la masse des étrangers vivant paisiblement dans la douce France pourraient devenir éminemment suspects. à ce jeu de dupes qui n’aurait dû satisfaire que la droite xénophobe, nous avons pu constater que celle-ci se fait un malin plaisir à décrire la gauche de gouvernement comme liberticide.
Cela ne peut que nous rappeler un épisode remontant au mois de mars 1986. La gauche s’apprêtait à perdre les élections législatives et le Premier ministre, Laurent Fabius, interrogé sur la chaîne France 2, expliquait tranquillement aux journalistes, à propos d’une défaite programmée : « Lorsqu’elle est au pouvoir, c’est la gauche qui fait le sale boulot... » Certes, ce n’était pas les mêmes socialistes que nous évoquerons maintenant, mais nous ne pouvons oublier qu’en février 1956, Guy Mollet, élu pour faire la paix en Algérie, se préparait à élargir les opérations militaires en faisant voter une loi qui donnait tous les pouvoirs à l’armée et à la police.
Pour en revenir à cette nationalité française, objet de tant de débats, je ne peux oublier que si je suis un fils d’immigrés, Français de par la loi d’août 1927 sur le droit du sol, mes parents ne purent jamais obtenir le statut de citoyens de ce pays, bien que les deux enfants fussent français. Mon père était arrivé en France en janvier 1923 avec un simple visa temporaire, avant de se retrouver immigré clandestin. Rapidement pourtant, il sera régularisé comme ressortissant polonais mais, en septembre 1939, après l’occupation de la Pologne par les armées nazie et soviétique, il sera apatride. Un an plus tard, la France de Vichy le désignera comme « indéterminé ».
Solidaire des « parias »
Depuis la Libération, j’ai le sentiment d’avoir vécu dans un pays parfois raciste et souvent xénophobe. Selon les périodes, on n’y aime pas les « youpins » ou les « bougnoules », et les événements récents n’ont pas contribué à améliorer ce climat délétère. C’est ainsi qu’au lendemain de l’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo, je me trouvais dans un wagon de métro face à un jeune homme d’une vingtaine d’années, visiblement d’origine maghrébine. Nous nous étions regardés, lui pensant peut-être que je le considérais comme un supporter des assassins et moi, bourré d’inquiétude à l’idée que ces exactions récentes ne pouvaient que renforcer les sentiments racistes de la France profonde.
à toutes les époques troublées que la France a pu connaître, depuis qu’elle est censée être redevenue la patrie des droits de l’homme, nous n’avons cessé de vivre l’un de ces événements qui ne font pas honneur à son célèbre droit d’asile. Comment ne pas rappeler qu’au lendemain de la tuerie policière du 17 octobre 61, de nombreux Algériens, dits « Français-musulmans », avaient été raflés dans les bidonvilles de la banlieue parisienne et expulsés en Algérie. Encore une fois, c’était un autre temps mais il faut bien constater cette invariance des actes xénophobes et racistes dans notre beau pays de France...
Étranger par héritage, je ne peux que me sentir solidaire de ces « parias » qui, d’une période à l’autre de notre histoire, se sont vus insultés, pourchassés, parfois expulsés, mais toujours en situation d’entendre dire qu’« ils ne sont pas de chez nous... ».
Maurice Rajsfus
(Bien connu des services de police de ce pays depuis le 16 juillet 1942)
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