Publié le Mercredi 27 janvier 2021 à 10h55.

Sur différents appels à mobilisation qui ont traversé le secteur culturel ces derniers mois

Lors de ce qu’on a appelé le premier confinement, les appels et pétitions allaient toutes dans le sens de mesures sociales et ont rapidement convergé vers la revendication d’une année blanche. Depuis la « re-fermeture » des lieux culturels, on entend des appels à ouvrir les lieux malgré le contexte, tandis que d’autres voix s’élèvent pour les fermer définitivement et inventer d’autres formes en marge.

On peut y déceler l’expression d’un foisonnement, d’une vivacité, mais on y lit aussi, là comme à chaque fois que le secteur du spectacle est traversé par des questions sociales, la tentation de vouloir jouer quand même, au mépris parfois de toutes les autres questions, comme si l’art en tant que tel était un engagement et que cela suffisait.

Ouvrir ou fermer les lieux ?

Le 14 décembre dernier, un communiqué unitaire national1 appelait à se mobiliser ensemble le 15 décembre au nom de la « Culture sacrifiée », pour exiger notamment « un soutien pour travailler quand même »2, « un soutien à la diversité d’action et d’éducation artistiques et culturelles, notamment en conservatoire », et « la garantie de tous les droits sociaux »3. Si dans les différentes villes cette mobilisation a pu prendre divers visages, le dénominateur commun aura été des revendications portées ensemble par les travailleurEs et leurs employeurs.

C’est en réponse notamment à cette revendication (« un soutien pour travailler quand même ») qu’Art en grève Paris-Banlieues4 publiera, au lendemain de la mobilisation du 15 décembre, un texte dans lequel est posée, justement, la question du retour au travail : « Rouvrir les institutions culturelles, retourner au travail exploité, est-ce seulement une perspective politique souhaitable ? » Le texte rappelle également que l’unité autoproclamée du monde de l’Art et de la Culture n’est à l’abri ni des rapports de classe ni des rapports de domination, et termine ainsi : « Maintenons ces lieux fermés ou occupons-les ».

Si l’ensemble du texte est juste et percutant, et que le dynamitage en règle de la prétendue unité (appelée aussi parfois la « grande famille du spectacle ») est pertinent, réjouissant même, en ce qu’il vient réinscrire notre secteur et nos pratiques dans le monde et rappeler que nous sommes des travailleurEs comme les autres, la conclusion du texte est très problématique. Opposer la volonté de rouvrir les lieux culturels à celle de les fermer définitivement pour inventer autre chose ailleurs n’a pas de sens. Ne pourrait-on plutôt revendiquer que ces lieux existants (qui pour beaucoup sont de formidables outils de travail) continuent à fonctionner mais d’une autre manière, davantage auto-­organisés et sans patrons ?
D’autant que leur existence témoigne aussi de la survie tant bien que mal d’un service public de la culture. Et s’il est moribond, les outils de travail autrement investis (auto-­organisation / expropriation des patrons) peuvent sans doute nous permettre de penser les choses différemment et d’initier autrement de nouvelles aventures.

Jouer dans les ruines

Plus récemment, le 18 janvier dernier, le site Lundi matin publiait une lettre ouverte de l’écrivain et metteur en scène Jérôme Favre5, dans laquelle il explique que « nous sommes inutiles et c’est cela qui est beau », que « nous n’avons à nous soumettre à aucun ordre, ni sécuritaire ni sanitaire. Nous devons jouer si nous le voulons, cesser de supplier qu’on nous laisse ouvrir ». Il termine en nous invitant à faire du théâtre, malgré tout, clandestinement, « dans des églises en ruine », « dans des hangars abandonnés, des salles des fêtes humides, sur des gradins de paille, derrière des coulisses de carton », le tout éclairé par des « lampes à piles ».

L’idée peut paraitre belle, jouer au milieu des ruines, peut même nous donner l’impression de rompre avec l’impuissance de ces derniers mois (il n’y a plus qu’à...), mais l’État n’attend-il pas justement que nous prouvions, une fois de plus, notre grande adaptabilité, notre capacité à travailler sans être payé et dans des conditions de travail minimales ? Car si nous n’avons plus besoin ni de lieux ni de conditions de travail décentes, on peut dès demain supprimer le régime dérogatoire des intermittentEs du spectacle et dé-labéliser les lieux.