Avant la crise, la dette privée a fortement augmenté : l’offre de crédit a été stimulée par les taux d’intérêt très bas des banques centrales, la quête du profit bancaire, et la certitude que les autorités publiques ne laisseraient pas une grande banque faire faillite (« too big to fail »)...
La demande de crédit a été également forte, non pas pour investir dans l’économie réelle (en raison de la faiblesse persistante du taux de profit), mais pour spéculer. Le résultat a été la constitution de bulles boursières et immobilières, et donc de profits fictifs très importants. Mais quand l’endettement progresse beaucoup plus vite que la création de valeur dans l’économie réelle, une crise de la dette est inéluctable.
C’est ce qui s’est produit à partir de 2007. Et les États n’ont pas laissé le mécanisme « naturel » de la crise se dérouler, à savoir la faillite de grands groupes en difficulté et le désendettement global qui va avec. Ils sont intervenus au secours des capitalistes : recapitalisation de banques en difficulté, amplification des cadeaux fiscaux, etc. Du coup, les déficits publics ont explosé, et donc le stock de dette publique, ce qui a ensuite justifié les plans d’austérité contre les travailleurEs pour rembourser ces nouveaux emprunts.
Le cas le plus édifiant est celui de l’Irlande où la dette publique est passée de 25 % du PIB en 2008 à 120 % en 2013 suite au renflouement massif du secteur bancaire qui menaçait de s’effondrer.
Crise de rentabilité du capital
À l’échelle mondiale, la dette globale (publique et privée) n’a pas diminué depuis le déclenchement de la crise, bien au contraire : de 160 % du PIB mondial en 2001, à 200 % en 2009... et 215 % en 2013. Depuis le déclenchement de la crise, le taux d’endettement total par rapport au PIB ralentit aux USA et au Royaume-Uni, mais il accélère en France ou en Italie. Surtout, il a explosé en Chine, où ces 15 dernières années, la dette a crû trois fois plus vite que le PIB : de 150 % du PIB à plus de 250 % aujourd’hui, même si le gouvernement a réussi à stabiliser ce ratio ces derniers mois.
La dette publique a fortement augmenté en Espagne (passant de 40 % du PIB à 100 % du PIB entre 2008 et 2014) où la dette privée a fortement baissé (passant de 200 % à 160 % du PIB). Aux USA et au Royaume-Uni, les entreprises et ménages se sont désendettées légèrement au détriment de l’État, ce qui a permis une certaine reprise économique. En revanche, en France, la dette privée continue à augmenter conjointement à la dette publique.
La montée en flèche de l’endettement public depuis la fin des années 1970, le franchissement d’un nouveau palier à partir de 2008, sont l’expression de la crise du capitalisme et de la nécessité pour les États bourgeois d’intervenir pour limiter la crise de rentabilité du capital. Mais la dette privée n’a pas été purgée suffisamment pour faire repartir l’accumulation du capital : une partie importante des profits des entreprises doit servir à rembourser leur dette, ce qui limite leur investissement, et donc la croissance. Pour qu’il y ait une véritable reprise économique, il faudrait que les entreprises se désendettent fortement. On en est très loin aujourd’hui...
Gaston Lefranc