Publié le Samedi 15 février 2014 à 10h00.

"L’austérité, un danger immédiat pour les collectivités locales et les populations"

Entretien. Patrick Saurin est porte-parole de SUD BPCE, membre du CADTM et du Collectif d’audit citoyen.

Comment va se traduire pour les collectivités locales l’objectif gouvernemental de 15 milliards d’économie mis en avant par le gouvernement ? Avec le budget 2014, les collectivités locales verront leur dotation globale de fonctionnement amputée de 1,5 milliard, dont 840 millions d’euros pour les communes et leurs groupements, 476 millions d’euros pour les départements et 184 millions d’euros pour les régions. De plus, les remboursements effectués par l’État sur la TVA payée par les collectivités locales sur leurs investissements ne prendront pas en compte l’augmentation du taux prévue en 2014, ce qui pourrait représenter une perte supplémentaire de 200 à 250 millions d’euros. À l’instar de l’État, ce sont tous les acteurs publics locaux, collectivités, établissements publics (les hôpitaux en particulier), organismes de logement social qui sont sollicités pour prendre en charge une large part de la socialisation des pertes des banques et du manque à gagner de la fiscalité. Ce coût va bien au-delà du 1,5 milliard de dotation supprimé, car il faut ajouter à cette somme un surcoût annuel de 1 milliard d’euros réglés directement aux banques par les acteurs publics locaux au titre des prêts toxiques.Concrètement cette politique d’austérité se traduit par des plans draconiens de suppressions d’emplois. Dans les collectivités locales, Jean-Marc Ayrault et son gouvernement envisagent l’instauration de plafonds d’emplois territoriaux. Dans les hôpitaux publics, ce sont plus de 20 000 emplois, l’équivalent de la population totale de la ville de Cahors, qui ont été supprimés en 2013, et 15 000 autres emplois, l’équivalent de la population totale de Brignoles, devraient disparaître en 2014. C’est la même logique destructrice d’emplois et de lien social que celle qui est à l’œuvre dans la sphère privée. Ainsi, les banques ont largement fait payer le prix de la crise à leurs salariés : entre 2008 et 2012, par exemple, le groupe BPCE a détruit plus de 11 000 emplois, soit une diminution de 8,9 % de l’effectif total.Enfin, cette détérioration touche également le secteur de l’habitat, puisque le nombre de logements sociaux diminue de façon régulière depuis 2010. En 2012, 102 000 logements sociaux seulement ont été financés sur les 120 000 prévus (le programme du candidat Hollande avait fixé un objectif de 150 000 logements sociaux par an).La fusion ou la suppression de collectivités sont une autre façon de faire des économies d’échelles, notamment en matière d’emplois, mais avec pour contrepartie une moindre proximité des services publics et une dégradation de la qualité du service rendu aux usagers. Par ailleurs, une diminution des investissements des collectivités aurait des conséquences désastreuses car elles assurent en France plus de 70 % de l’investissement public national et font vivre de très nombreuses entreprises. 

Que se passe-t-il du côté de la dette des collectivités locales ?Même s’il a augmenté en 2012 par rapport à 2011 et 2010 en atteignant près de 18 milliards d’euros, le recours à l’emprunt reste sensiblement inférieur à celui d’avant la crise. On observe en cette matière un changement important : les banques se désengagent et laissent le champ libre aux marchés financiers. En 2012, les collectivités locales ont levé 2,5 milliards d’emprunts obligataires, trois fois plus qu’en 2011. Une note rédigée à la demande de Mme Bresso, présidente ad intérim de la commission ad hoc temporaire sur le budget de l’UE, intitulée « impact de l’austérité budgétaire sur les finances et les investissements locaux », a souligné il y a quelque temps les dangers que font courir aux collectivités publiques européennes les politiques d’austérité actuellement mises en œuvre.

Finalement, les collectivités locales sont victimes de la politique générale d’austérité conduite, non seulement en France mais en Europe ?Le choix de l’austérité met effectivement en danger les acteurs publics locaux et leurs missions au service de la population. En fait, ce choix appliqué partout en Europe a des effets désastreux à tous les niveaux. La réduction des dépenses publiques a des conséquences extrêmement dommageables en matière d’emploi, d’éducation, de santé, de logement, de justice et même d’accès à la nourriture et à l’eau. Ainsi, pour ne prendre que deux exemples, aujourd’hui en Grèce 10 % des enfants souffrent de malnutrition et en Irlande une partie de la population a des difficultés d’accès à l’eau potable. Ce bilan désastreux a été dressé par Nils Muiznieks, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, dans un rapport de novembre 2013 intitulé, « Safeguarding human rights in time of economic crisis », « Préserver les droits de l’homme en temps de crise économique » (1).

Il faut donc des orientations radicalement différentes ?Une réforme fiscale radicale est absolument nécessaire. Il est urgent de mettre un terme à la fraude et à l’évasion fiscale et de taxer le capital des grosses sociétés et celui des grandes fortunes privées largement exonérés jusque-là. Cette réforme doit s’accompagner d’une plus juste répartition de la valeur ajoutée, donnant au travail la part qui doit lui revenir. La réduction significative du temps de travail pour partager le travail entre tous est une autre mesure indispensable. La socialisation de l’intégralité du système bancaire est une autre priorité. Enfin, la production doit être réorientée vers la transition écologique, et le développement d’activités socialement utiles doit remplacer au plus vite le mode de production calamiteux que nous connaissons aujourd’hui, uniquement motivée par le profit, et dont les effets délétères sont la mise à sac des ressources et de l’écosystème de la planète, l’exploitation et l’aliénation des individus, avec pour toile de fond la marchandisation toujours plus étendue des relations sociales. Plus que jamais, le refus de l’austérité et la mise en œuvre d’une autre politique exigent un vaste mouvement social et citoyen solidaire, unitaire et déterminé dépassant le cadre des frontières. Chaque jour qui passe, la nécessité de changer de système apparaît de plus en plus impérative et fait aujourd’hui de l’anticapitalisme non pas un choix parmi d’autres voies, mais le passage obligé qui exige l’engagement de chacun.

Propos recueillis par Henri Wilno

 

1 – https://wcd.coe.int/com…