En vingt ans, les différentes réformes de l’Enseignement supérieur et de la recherche ont progressivement démantelé la recherche publique pour ouvrir les portes au privé. À cause de l’assèchement budgétaire, les universités doivent être « attractives », construire une image et rayonner à l’international. Elles suivent les logiques d’un marché comme un autre : universités mais aussi équipes de recherche sont en concurrence pour l’obtention de financements (moins de 16 % des projets sont finalement financés) avec une exigence de rentabilité évaluée en nombres de projets, de brevets, de publications, etc.
Les financements par projet financent principalement les recherches avec applications industrielles et favorisent les transferts de compétences vers le privé par la création de Sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT). La recherche « non rentable » est asphyxiée, par exemple en sciences humaines où plus de la moitié des thèses ne sont pas financées !
DoctorantE : un parcours du combattant
Cette concurrence, cette injonction à la rentabilité et ce mode de financement ne peut fonctionner sans une armée de précaires : stagiaires, contractuelEs, doctorantEs et post-doctorantEs. Si ces non-permanentEs veulent obtenir un poste fixe, ils et elles doivent faire preuve d’allégeance aux équipes et aux projets de courte durée. Et c’est une longue course : l’âge moyen de titularisation pour les chercheurEs et enseignantEs-chercheurEs est de 35 ans. Entretemps, ils et elles vont publier autant que possible sans compter leurs heures, enchaîner des contrats courts dans différents pays, avec le risque constant d’être licenciéEs ou de ne pas réussir le concours de titularisation. La recherche comme l’enseignement tourne grâce à ces précaires sous pression, souvent solidaires d’équipes titulaires en souffrance et surmenées.
En effet, la baisse des moyens contraint les facs à embaucher moins, à « geler » les postes d’enseignantE-chercheurE. Ainsi, depuis 20 ans, le nombre de postes ouverts par an a été divisé par deux quand le nombre d’étudiantEs n’a cessé de croître. La conséquence directe est l’augmentation énorme de la charge d’enseignement parfois jusqu’à doubler la limite statutaire des 192 h/équivalent TD. L’université fait aussi appel à de plus en plus de non-permanentEs pour répondre aux besoins (permanents) des heures d’enseignement : ATER ou vacataires. Mais cela ne suffit pas. Le nombre de places dans les filières est alors limité et le nombre d’heures de cours par étudiantEs diminué.
L’université tenue par une armée de précaires
Une telle gestion est permise par une hiérarchie exacerbée : les précaires sont embauchés par des responsables déjà surchargés qui font tourner tant bien que mal des formations avec des moyens de plus en plus bas selon une maquette définie par le ou la responsable de formation. Les moyens dépendent de la direction de l’université qui joue le jeu de la mise en concurrence et de la gestion budgétaire des universités. Au milieu de tout ça, les BIATSS, personnels d’appui et administratifs, eux et elles aussi souvent en CDD, doivent se démener pour adapter les emplois du temps, ajuster la répartition des salles ou gérer le bric-à-brac des contrats et des paiements.
Ce système ne peut mener qu’à des abus de pouvoir dans lesquels les précaires sont pris au piège : les vacataires sont amenéEs, par sentiment d’obligation ou « pour rendre service », à accepter de faire des heures supplémentaires, à corriger des copies des titulaires, à surveiller des examens gratuitement, tout cela pour un faible salaire souvent versé six mois après le premier cours donné ! Ce sont les mêmes précaires qui sont en premières lignes du surtravail qu’a exigé le passage en distanciel, assumant ce travail avec leurs outils informatiques personnels, mal adaptés.
Les conditions d’études sont affectées par cette baisse des moyens. Les inégalités sociales et territoriales explosent. Les étudiantEs qui ont pu accéder à l’université reçoivent une formation de moindre qualité et un accompagnement réduit, avec des diplômes qui sont moins reconnus lorsqu’ils sont délivrés par des universités moins « bonnes ». Ce phénomène d’« université à deux vitesses » ne peut que tendre à s’exacerber : les universités moins financées vont voir la qualité de leur formation et de recherche décroître.
La double oppression des femmes dans la recherche
Sous le vernis d’un lieu de construction de savoirs éclairés, les universités sont, comme ailleurs dans le capitalisme, affectées par les inégalités de genre et les violences sexistes. Encore plus dans la période actuelle. La précarité est plus grande pour les femmes. La course à l’excellence et le marathon pour obtenir un poste découragent en premier lieu celles sur qui reposent encore bien souvent les tâches domestiques et éducatives au sein du foyer. Mettre sa carrière entre parenthèses pour s’occuper des enfants, c’est condamner ses espoirs de carrière. De fait, la grande majorité des postes de professeurs et de direction sont occupés par des hommes ! À l’inverse, les femmes sont majoritaires dans les postes précaires et sont plus rarement financées. Tous les ingrédients des violences sexistes et sexuelles systémiques sont réunis ! L’exacerbation de la concurrence après le doctorat et l’augmentation du pouvoir des hiérarchies locales pour embaucher limitent la libération de la parole et le combat contre ces violences.
À l’université aussi, les mécanismes d’oppressions patriarcales se développent sur l’exploitation et la précarité. C’est bien ce système qu’il faut faire tomber. Les précaires sont les premierEs à souffrir mais aussi à se mobiliser, non seulement pour leurs droits (contrats de travail, mensualisation des vacataions, exonération des frais d’inscription…), mais aussi au-delà, contre la casse de l’université. Ils et elles sont au cœur des collectifs militants vifs et revendicateurs au gré des luttes contre les réformes et pour de meilleures conditions de travail.