Dans les semaines et les mois qui viennent, à l’opposé de « nous habituer à vivre avec le Covid » comme nous l’expliquent sur tous les tons les ministres et leurs conseillers, un des enjeux majeurs est de résister aux conséquences de la gestion calamiteuse de la crise sanitaire qui menace de faire perdre tout sens au travail d’éducation. Se réapproprier un minimum de contrôle passe par plusieurs niveaux articulant analyse de la situation de détresse psychologique de la jeunesse, et revendications de mesures pédagogiques et de moyens matériels et humains pour les mettre en œuvre.
La santé mentale : une priorité
« Nous avons aujourd’hui un problème de santé qui touche nos enfants et adolescents, qui se rajoute à l’épidémie » a déclaré Macron dans un service de pédopsychiatrie du CHU de Reims le 14 avril, citant le chiffre de 40 % d’augmentation des urgences pédiatriques. Cette question devient un enjeu majeur, en effet, « hors Covid, les études montraient déjà qu’environ 1/5 des jeunes allaient mal en raison d’inégalités affectives, sociales ou culturelles »1 et la déflagration de l’épidémie est brutale. Les chiffres communiqués le 22 mars dernier par la cheffe du pôle psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence de Rennes 1 (région qui n’est pas la plus impactée depuis le début de l’épidémie) font entrevoir la catastrophe : « Depuis le 31 octobre, on a assisté à un nombre de crises suicidaires qui a été multiplié par deux fois et demie » ; « c’est vrai aussi pour les troubles anxieux, avec des problèmes de somatisation, d’absentéisme scolaire qui ont été triplés. Et c’est vrai également pour les problèmes d’anorexie qui ont quadruplé avec un passage aux urgences pédiatriques et qui sont vus par nos équipes. » Et ce ne sont que les situations où les familles ont su repérer les signaux d’alerte envoyés par leurs enfants. On peut donc supposer que dans des milieux moins armés pour cela et pour lesquels l’accès aux soins est plus compliqué, des milliers d’enfants passent sous les radars. Alors la réponse ne peut être l’annonce de Macron d’un forfait de 10 séances prépayées chez un pédopsychiatre pour les enfants déprimés, après les chèques psy pour les étudiantEs. D’abord parce que, comme lui a répondu la cheffe du service de Reims, « il faudrait doubler, voire tripler les effectifs » pour répondre aux besoins actuels. Mais il faudrait aussi former les enseignantEs et les équipes vie scolaire à identifier les signaux d’alerte, avoir dans les établissements scolaires un premier rideau d’infirmierEs et psychologues scolaires en capacité d’aider et orienter les enfants et leurs familles.
Adapter la pédagogie et les examens
Il y a urgence à aider les enseignanEs à construire des outils pédagogiques adaptés à la reprise de confiance en soi, à la collaboration entre élèves pour apprendre. Pour déconnecter la reprise de l’école de l’impossible retour à « l’apprentissage normal » des programmes, il faut l’annonce immédiate de l’annulation des examens prévus dans les prochaines semaines (DNB, CAP, Bac, BTS) : ce serait un sujet d’angoisse de moins pour les élèves, leurs parents et leurs enseignantEs. Ce serait le minimum de l’égalité devant les examens entre les élèves qui n’ont pas eu le même accès aux apprentissages depuis un an et demi. Il faut aussi supprimer toutes les modalités d’évaluation des enfants en primaire, qui n’ont pas d’autre finalité que de leur inculquer dès la maternelle la compétition individualiste. Et repenser les manques de cette année et demie, en s’appuyant sur le temps long des cycles, à l’inverse des injonctions permanentes.
Revendiquer des moyens immédiatement
Et comme il est prévisible que, d’ici septembre et la prochaine rentrée scolaire, le virus et ses mutations n’auront pas miraculeusement disparu, il faut commencer par exiger que le ministère mette directement à la poubelle le dispositif de rentrée prévu avec ses 1 800 suppressions de postes dans le second degré, des fermetures de classes en primaire dans des zones d’éducation prioritaire…
Alors que nous sommes en période de concours, il faut augmenter massivement le nombre d’admissions, titulariser sans conditions les contractuelEs afin de pouvoir assurer partout des diminutions d’effectifs élèves dans les classes. Il n’est pas normal de sacrifier la moitié de la scolarité parce qu’il n’y a pas unE profE devant chaque groupe d’élèves. Il faut pouvoir assurer le remplacement des enseignantEs absents sans entasser les enfants dans des classes au mépris des risques du brassage et des apprentissages. Pour assurer ce recrutement à la hauteur des besoins, un plan de revalorisation des salaires pour l’ensemble des personnels de l’éducation, enseignants, vie scolaire, médico-sociaux, est indispensable.
Il faut enfin chercher et trouver des locaux permettant d’accueillir les classes à effectifs réduits, embaucher les personnels de vie scolaire et d’entretien pour assurer des conditions sereines et une hygiène sanitaire adaptée. Pour cela il faut répondre aux revendications des personnels de vie scolaire mobilisés tout au long de l’année pour exiger « l’accès à la titularisation par la création du métier d’Éducateur scolaire pleinement intégré à la communauté éducative, des conditions de travail décentes, et un salaire à la hauteur de nos missions. »2
Et last but not the least : la mise en place de groupes de travail pour refonder les programmes et remplacer la réforme du Bac général et technologique, de la voie professionnelle : une réforme à dégager, avec Blanquer.
L’ensemble de ces revendications d’urgence sont indispensables pour ne pas imposer à la jeunesse le chaos d’une troisième année scolaire sous Covid. C’est ce qui devrait au plus vite se discuter dans les salles de profs mais aussi dans les structures syndicales.