En 1998, les pays de l’Union européenne lançaient le processus de Bologne, pour rapprocher leurs systèmes d’études supérieures. En 2010, 48 pays rejoignaient l’espace européen de l’enseignement supérieur (EEES). Derrière une façade visant à unifier les niveaux des diplômes (licence, master et doctorat), la volonté des gouvernants est en fait de mettre en place une « économie de la connaissance pour faire de l’Europe un espace compétitif à l’échelle mondiale. »
Si le processus de Bologne était la première pierre européenne pour la privatisation de l’éducation, ce sont en réalité trois processus conjoints qui s’exercent pour démanteler l’école publique.
Dégraisser le mammouth
Premier volet du processus, il faut « optimiser les coûts de l’éducation nationale », c’est-à-dire, essentiellement, diminuer la masse salariale. Dans les universités, cela s’est traduit par une autonomie budgétaire (nécessairement inférieure aux besoins réels). Quelques universités se sont retrouvées en « faillite budgétaire ». En réduisant drastiquement les enseignements, elles s’en sortent financièrement (il y a eu une baisse de 60 % des recrutements de maîtres de conférence en 14 ans). Aujourd’hui, des universités réfléchissent sérieusement à mettre en place des formations en ligne réutilisables, de manière à ne pas financer chaque année certains cours de L1…
Dans le pré-bac, voilà plus de 20 ans que le nombre de postes d’enseignantEs et de personnels diminue, que des classes ferment et que les cadences des personnels augmentent. La première conséquence est une baisse importante de la qualité d’enseignement et d’apprentissage pour les jeunes. Si l’idée de l’école inclusive pour les enfants handicapés est une très bonne idée, force est de constater que c’est un parcours du combattant pour avoir une aide concrète (AESH) dans sa classe, faute de personnels. La pandémie du Covid-19 a révélé crument le manque d’infirmierEs et de médecins scolaires dans les établissements. Sans que le gouvernement n’en tire aucune conséquence.
Délégation au privé et flexibilité
Devant le manque de personnel, l’État a recours à des professeurs contractuels, qui coûtent beaucoup moins qu’un fonctionnaire. Les CDD sont au maximum d’une durée de 6 ans (au-delà, l’agent doit être CDIsé). Bien souvent, dans l’éducation, les contrats s’arrêtent fin juin et recommencent en septembre. En 2017, 22,5 % des agentEs de la fonction publique étaient contractuels. Pendant longtemps, ils ont été lâchés, sans formation au milieu de leur classe.
Pour pallier ce manque, le gouvernement a délégué la formation indispensable de ses personnels à des entreprises privées. Et il s’en félicite. En juillet dernier, le recteur de Créteil est venu personnellement à l’université d’été de l’association le Choix de l’école, association qui « accompagne de jeunes diplômés et de jeunes actifs qui souhaitent se reconvertir vers l’enseignement dans les quartiers prioritaires », dans le même temps qu’il licenciait 2 300 contractuels pour ne pas avoir à leur proposer un CDI.
Avec plus d’un personnel sur cinq qui est contractuel, les gouvernements en ont profité, au nom de l’égalité de traitement, pour remettre en cause le statut des personnels titulaires, détricotant ce que cinquante ans de luttes sociales avaient obtenu, à commencer par les retraites, dont Macron annonce une nouvelle réforme dès la fin de la pandémie. À l’université, la loi de programmation de la recherche (LPR) permet de mettre en place des « CDI par mission » ainsi que des aménagements des services d’enseignement pour les chercheurEs, augmentant d’autant la précarité dans ce milieu.
Créations de nouveaux marchés
Face à ces casse-têtes administratifs et au manque de personnel, de plus en plus de familles (de tous milieux sociaux) se tournent vers l’enseignement privé. Ce n’est pas nouveau, mais à cela viennent s’ajouter de nouveaux marchés, tel que celui de l’accompagnement scolaire Ainsi, l’entreprise Acadomia a dégagé un bénéfice d’un million d’euros en 2014, plus de deux millions en 2017. Cela se fait avec l’aval du gouvernement. Non seulement via des crédits d’impôts, mais aussi par un financement direct. L’aide de l’État au soutien scolaire privé représentait déjà 2,5 fois le budget du soutien scolaire public en 2008…
Les serveurs internet utilisés et payés grassement par le ministère pour l’enseignement à distance (appelé « Ma classe à la maison ») appartiennent à Amazon, sans que l’on ait de certitude sur la collecte des données qui y transitent.
Le système de sélection dans l’enseignement supérieur (ParcourSup), lié à la destruction du corps des « conseillers d’éducation-pyschologues » (devenus psychologues de l’éducation nationale) a permis la création du marché de l’orientation. UnE étudiantE sur cinq a recours à un « coach en orientation », délestant les familles de quelques centaines d’euros pour une aide qui était autrefois publique et gratuite.