Publié le Lundi 29 février 2016 à 09h46.

De quoi Uber est-il le nom ?

Derrière le conflit apparent entre taxis et VTC (voiture de transport avec chauffeur) se dissimule une lutte entre deux monopoles aussi féroces l’un que l’autre contre leurs chauffeurs qui peinent à (sur)vivre de leur travail.

Le groupe des taxis G7 avait réussi à instaurer un véritable monopole capable d’organiser la pénurie des licences, d’étouffer les taxis indépendants et même de racheter, dans un secret gardé pendant 10 ans, son concurrent Taxis bleus. Il en tirait évidemment une rente substantielle.

La libéralisation d’abord, le changement technologique ensuite, vont faire naître un autre monopole concurrent. En 2008, Attali (déjà et encore lui !) avait écrit qu’il fallait « lever les barrières pour devenir taxi ». à partir de 2009, le VTC est autorisé et accessible avec une licence d’à peine 100 euros Les plateformes de commercialisation et les applications comme Uber, qui permettent de commander une course en voiture via son smartphone, vont donner toute sa dimension au phénomène.

Entre les deux systèmes, la concurrence fait rage pour une même clientèle qui n’est pas extensible à l’infini. La loi Thévenoud était supposée mettre un peu d’ordre dans la jungle ainsi créée en durcissant les conditions d’accès au statut de VTC. Mais le décret fixant les conditions concrètes des formations et de leur validation n’est toujours pas sorti. Grave dilemme pour le gouvernement, qui doit arbitrer entre les taxis et VTC déjà en place qui ne veulent pas de nouveaux arrivants, et la sacro-sainte concurrence libre et non faussée supposée créer emploi et croissance en « déverrouillant l’économie » ! De plus, la loi d’organisation du transport intérieur (LOTI) permet de contourner la non-délivrance du statut à de nouveaux chauffeurs en les autorisant à travailler via la « capacité de transport » de l’entreprise qui les emploie sans formation particulière. Elle concernerait 30 à 40 % des chauffeurs de VTC.

Les chauffeurs grands perdants

Dresser les exploités (ici chauffeurs de taxi contre chauffeurs de VTC) les uns contre les autres est un grand classique du capitalisme. Là encore, le secteur est en pointe. Pourtant comme le dit le responsable du syndicat des VTC : « la victoire n’est pas pour nous les chauffeurs mais pour les plateformes qui nous paupérisent », et comme le souligne un autre, « c’est le même système d’exploitation des chauffeurs » car « le système mis en place par les applications est en fait copié de celui des centrales de taxis comme G7, avec une centrale de réservation qui redistribue les courses vers des chauffeurs affiliés ».

En pointe, ce secteur l’est aussi en ce qui concerne le torpillage du code du travail et l’art de fabriquer « des salariés parfaitement déguisés en patrons ». Côté G7, les chauffeurs travaillent exclusivement pour la centrale, et le plus souvent paient le droit d’utiliser la licence, la location d’une voiture qui ne leur appartient pas, le service de la centrale radio... De son côté, Uber fait miroiter à des chômeurs un avenir d’(auto)entrepreneurs, prétendument « partenaires » de l’application, mais il a décidé unilatéralement de baisser les prix de 20 %, imposant des salaires mensuels de 1 500 à 1 800 euros par mois pour 60, 70 voire 80 heures par semaine. Dans les deux cas, les chauffeurs subissent bel et bien la subordination qui caractérise le salariat, mais le droit du travail et la protection sociale en moins !

Les Uber et autres imposent l’exploitation la plus crue sans les « entraves » du code du travail : le rêve néolibéral de Macron devenu réalité. Ils se drapent dans le vocabulaire de l’économie collaborative, et veulent nous faire prendre le capitalisme le plus sauvage pour son antithèse. à nous de redonner vie à un projet de société, à des alternatives concrètes mettant réellement en œuvre le partage, la mise en commun, l’usage partagé, plutôt que la propriété.

Christine Poupin