Des dizaines de milliers de suppressions de postes, de licenciements sont en cours ou sont annoncés. Mais pour en mesurer l’ampleur, il ne faut pas regarder seulement du côté des grandes entreprises. Même si c’est dans celles-ci que les possibilités de mobilisation sont les plus réelles. Une réponse d’ensemble doit compléter les résistances entreprise par entreprise.
Les « plans sociaux » s’accélèrent : d’après le ministère du Travail, 394 plans ont été annoncés depuis mars dernier ce qui représente plus de 57 000 salariéEs. Ils concernent des entreprises qui, comme Bridgestone, Sanofi, Nokia, General Electric ont bénéficié de millions d’aides publiques sans conditions.
Vive la crise !
Avec la « crise », le patronat se sent autorisé à licencier vite et fort. Souvent, la crise économique tout comme la pandémie ont bon dos : certains groupes se lancent dans une espèce de meccano pour se restructurer et élaguer des établissements dont, en fait, la fermeture était programmée depuis longtemps.
Les licenciements dits économiques ne constituent qu’une minorité des suppressions d’emplois. Celles-ci prennent la forme de fin de CDD et de compression des effectifs d’intérim et les toujours plus nombreuses ruptures conventionnelles. Plus de 700 000 emplois ont été supprimés au deuxième trimestre. Si le chômage partiel et les aides publiques ont poussé les entreprises à retarder le couperet pour les CDI, les salariéEs les moins protégés subissent la crise en temps réel.
Une bonne partie de ces suppressions d’emplois ont lieu dans des entreprises où il n’y a pas de syndicats et/ou pas de représentation du personnel, ne sont pas obligées de faire des plans de « sauvegarde » de l’emploi. Dans le contexte de crise, elles peuvent connaître des difficultés réelles. Notamment parce que nombre d’entre elles (dans l’industrie automobile, l’aéronautique, le bâtiment, les services informatiques, le nettoyage…) sont dépendantes des grands donneurs d’ordre. La résistance y est plus difficile.
S’opposer à la fatalité
Les dégâts sociaux engendrés par les licenciements et suppressions d’emplois appellent de la part du mouvement ouvrier, politique, syndical, associatif, la formulation d’une réponse d’ensemble qui soit à même de prendre en compte la totalité des cas, y compris les licenciements individuels notamment dans les petites entreprises.
Deux idées sont essentielles.
Première idée : il n’y a aucune raison que les salariéEs pâtissent de choix de gestion dont ils et elles ne sont nullement responsables. Après tout, ce sont les employeurs qui dirigent les entreprises, et c’est le système de profit et de concurrence qui conduit aux restructurations et aux destructions d’emplois.
Seconde idée : si la question ne peut être traitée au niveau de l’entreprise, il faut néanmoins que ce ne soit pas les salariéEs qui subissent les conséquences.
Tout engagement de procédure de licenciement, toute suppression d’emplois doit s’accompagner de l’ouverture des « livres de comptes », de la comptabilité, aux représentantEs des salariéEs ou aux organes d’auto-organisation dont ils se seront dotés. Livres de comptes du groupe en France et hors des frontières, et pas seulement de l’établissement ou de l’entreprise où doivent avoir lieu les licenciements. À partir de là, deux cas de figure : soit le groupe ou l’entreprise peut payer le maintien de l’emploi, soit il est vraiment en difficulté. Ce qui peut se produire dans une crise comme celle d’aujourd’hui, mais cela ne doit pas exonérer les patrons de leurs responsabilités. Si un patron particulier ne peut vraiment pas payer, c’est le patronat en tant que collectivité ne cessant de se présenter comme un « partenaire social » voire «responsable» qui doit le faire.
Il faut donc mettre en place des fonds de mutualisation à la charge exclusive des entreprises dans la logique de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariéEs (AGS), qui permettent de financer le maintien des emplois et, si ce n’est pas possible, le maintien de la rémunération intégrale et des droits des salariéEs, ainsi que les possibilités d’une réelle reconversion, par-delà les aléas de la vie de telle ou telle entreprise. La participation à ces fonds devrait être obligatoire.
Imposer une autre logique
Dans certaines entreprises, s’engagent d’ores et déjà des luttes pour le maintien des emplois. Le mot d’ordre d’interdiction des licenciements correspond à cette situation où patronat et gouvernement font des salariéEs les variables d’ajustement de leurs politiques. Mais le contexte rend aussi d’actualité d’autres mots d’ordre : partage du travail entre tous et toutes, transparence sur l’utilisation de toutes les aides publiques, même si nous refusons le principe.
Licenciements et suppressions d’emplois ne sont ni fatals ni inévitables. Dans les grands groupes, ils résultent de la concurrence « libre et non faussée » et sont la contrepartie des dividendes des actionnaires et rémunérations exorbitantes des dirigeants, et de la volonté de tous ces gens de les ébrécher le moins possible. Dans les PME, il peut y avoir des difficultés mais, là aussi, les dirigeants et propriétaires veulent préserver leurs avoirs.
Face aux licenciements qui ont commencé à déferler, le rapport de forces doit se construire dans l’entreprise chaque fois que c’est possible. Les salariéEs, les syndicats doivent essayer d’associer aux mobilisations tous ceux et toutes celles qui dépendent de l’entreprise, y compris les CDD, intérimaires, salariéEs de la sous-traitance ou prestataires. Et de tisser des liens au niveau local, régional voire national afin de coordonner les actions, débattre des revendications et des moyens de les faire aboutir.
La réalité, la menace du chômage et le chantage permanent qu’il permet restent des éléments déterminants dans la construction du rapport de forces. Si les salariéEs n’ont pas à payer la crise, il ne faut pas qu’État et patrons puissent se renvoyer la balle. Le patronat nous conduit à la catastrophe sociale et écologique et l’État ne doit pas être la « providence » des capitalistes en faillite. L’interdiction des licenciements et des suppressions d’emplois ne peuvent s’envisager que dans le cadre d’un rapport de forces largement amélioré pour les salariéEs et constitue une remise en cause du pouvoir patronal sur la société. Tels sont les enjeux.