L’organisation du travail reste le domaine réservé de l’employeur, qu’il soit public ou privé. Elle est aujourd’hui l’objet d’un conflit de classe engagé par les capitalistes. Le mouvement ouvrier doit s’en emparer et en faire une question politique.
L’organisation du travail assure la soumission des salariéEs au cœur même du procès capitaliste de travail. Elle n’est pas qu’une technique de rationalisation du travail afin de maximiser le profit : elle matérialise les conditions réelles dans lesquelles le capital exerce son pouvoir de sorte que celui-ci apparaisse comme une nécessité.
Ceci renvoie à la division capitaliste du travail. Un salariéE vend sa force de travail pour vivre, mais celle-ci est parcellaire et ne peut être utilisée indépendamment d’autres salariéEs. Cette subordination technique, renforcée par le développement des machines, rend nécessaire la coopération sous le commandement patronal et tout ce qu’il implique : discipline, sanctions, règlement intérieur, surveillance, autorité et hiérarchie.
À l’âge néolibéral
La réorganisation du procès de travail est précisément l’un des traits majeurs du néolibéralisme. Celui-ci ne se contente pas de casser les protections, d’attaquer les salaires, d’exiger une productivité accrue. Il cherche aussi à ce que les salariéEs intériorisent les nouvelles normes d’efficacité productive et de performance individuelle.
Il le fait en s’appuyant sur la peur du chômage, mais aussi en organisant la concurrence entre les salariéEs (recours massif à la précarité), y compris dans une même entreprise par l’individualisation des objectifs ou la mise en place d’une surveillance de tous les instants (évaluations, sanctions), de sorte à ce qu’elle soit comprise comme le type normal de relations au travail. Les nouvelles technologies, très flexibles, facilitent un contrôle de plus en plus étroit sur le travail, et les patrons disposent de moyens de pression toujours plus importants.
Partout s’imposent les changements permanents de l’organisation du travail. Ils obligent les salariéEs à une remise en cause constante de leurs acquis, de leur expérience. À chaque modification, il faut se réapproprier son travail, réapprendre les marges de manœuvre, ce qui crée une insécurité, y compris là où les emplois sont moins instables comme dans les services publics.
En outre, les patrons cherchent à contrôler la compétence des salariéEs. Ils élaborent des normes, des processus de travail, qui remplacent la maîtrise de l’outil de travail, l’expérience acquise ou construite dans le travail. Au lieu de faire un bon travail, il est demandé aux salariéEs de respecter la norme, le processus de travail défini, les objectifs imposés.
Ces contraintes qui densifient le temps de travail sont destructrices. Dans les temps, les gestes, les réflexions non directement productives que les patrons veulent supprimer, il y a un travail important de récupération de formation, d’apprentissage, de réflexion sur son activité. Les collectifs de travail sont morcelés, limitant les possibilités de coopération entre salariéEs, complexifiant l’échange entre métiers différents.
Le produit le plus visible de cela, c’est la souffrance au travail, le sentiment qu’on n’a pas la possibilité de changer les choses, du fait qu’on ne parvient pas à contester l’ordre productif, ni même à modérer collectivement ce que les patrons imposent, voire le retournement de la violence contre soi par le suicide.
Un droit du travail inadapté
Borné par le pouvoir de direction patronal, le droit du travail n’est pas conçu pour répondre aux enjeux posés. L’employeur (et l’État employeur) a bien entendu une obligation de sécurité, considérée par la jurisprudence comme une obligation de résultat. Il doit assurer la prévention des accidents et des maladies. Cette obligation est étendue à la santé mentale. Dans la pratique, l’employeur peut être condamné… mais seulement après un dommage : la réparation prime largement sur la prévention, sans parler du caractère dérisoire des sanctions ou du recours à la sous-traitance qui permet aux gros patrons de s’en exonérer...
La loi octroie certains droits aux salariéEs, comme le droit de retrait et d’alerte ou l’interdiction du harcèlement. Le juge est autorisé à suspendre une restructuration si l’employeur ne démontre pas que la sécurité est garantie. Mais ces droits ne permettent pas aux salariéEs de faire reconnaître l’ensemble de la violence subie, dans sa dimension collective et systémique. Par ailleurs, les notions de souffrance ou de stress tendent à dissimuler la violence de classe contenue dans l’organisation du travail : ce sont les salariéEs qui ne sauraient pas faire face et s’adapter.
Réhabiliter le conflit
Si le gouvernement attaque aujourd’hui les CHSCT (loi Rebsamen), c’est bien parce qu’il s’agit du seul lieu dans l’entreprise où l’organisation du travail peut être abordée. Mais il serait naïf de croire en la possibilité d’une réforme vertueuse de l’organisation du travail, d’autant plus que l’annihilation des moyens de résistance fait partie des objectifs poursuivis. Il s’agit d’affronter le pouvoir du capital, lui reprendre les libertés qu’il s’octroie. Cela ne se fera pas sans l’irruption, directe et conflictuelle, des salariéEs dans les choix d’organisation du travail.
L’action collective, syndicale et politique, doit faire de l’organisation du travail un objet de lutte et le mettre au cœur de son combat. Réhabiliter le conflit sur ces questions, c’est se permettre de réfléchir à la possibilité de rapports différents dans le travail et d’une autre conception de la société, c’est refuser que la démocratie s’arrête à la porte des entreprises, c’est retrouver une confiance collective pour reconstruire une solidarité de classe et s’attaquer au pouvoir patronal.