Lundi 6 septembre : « Là haut, c’est un cyborg »
À 4 h 30, installation du piquet de grève, sous les étoiles… « Salariés en colère, chauffeurs à l’arrêt ». L’un d’eux : « En dix ans de boîte, c’est la première fois que je vois autant de détermination ». Un autre : « C’est ma première grève. À la télé j’en avais déjà vu, mais je voyais ça avec des 100 000 personnes. Là on est moins, mais on est déterminés. » Un délégué annonce : « Vu qu’on est tous là, la directrice va sortir. » À quoi ça sert de lui parler ? « C’est un cyborg ». Elle descend et l’indignation éclate : « Ça veut dire quoi ne pas payer des heures de travail ? Et quand ma femme me demande quand est-ce que je travaille la semaine prochaine et que je ne peux pas lui répondre, c’est pas ça nous manquer de respect ? » L’assemblée applaudit, la directrice transpire, dit qu’elle négociera avec les délégués. « Ça concerne pas que les délégués, vous avez un micro, parlez-nous ! » Elle remonte.
Mardi 7 septembre : « C’est trop dangereux »
Dénonciations des conditions de travail. « En été, même s’il fait chaud, parfois on n’ose pas boire parce qu’on sait que ça va tomber dans la vessie, et qu’on n’a que trois-quatre minutes de pause. On ne peut pas laisser le bus n’importe où, donc parfois c’est impossible. Et la direction va directement sur de la sanction. » « 43 heures par semaine, c’est une vraie fatigue psychique. Ça peut même devenir dangereux. Quand on est fatigué, le bus c’est une arme qu’on a entre les mains. – Surtout quand on est du matin. On commence à 4 h 30, ça veut dire lever à 3 h 30 pour ceux qui n’habitent pas à côté. L’heure qu’ils ont rajoutée là, c’est pile l’heure à laquelle tu piques du nez. Même moi, je suis sportif, je m’endors. C’est trop dangereux… »
Mercredi 8 septembre : « Notre force, c’est le collectif »
Une nouvelle banderole : « Meilleures conditions ou révolution ! » « Moi, vendre les tickets en conduisant c’est fini. Si un truc se passe mal à ce moment-là, on dira que tu regardais pas la route. Mais si tu prends le temps de t’arrêter, tu te mets en retard et c’est l’entretien disciplinaire, tu te fais allumer. » La chaleur s’installe. « On se bagarre pour les nouveaux embauchés aussi ! Les primes que les anciens ont gagnées, ça doit être aussi pour les nouveaux. Les différences de salaire, c’est pas normal, on fait le même métier. » Aller à nouveau discuter avec la directrice ? « Pourquoi ceux de la délégation restent ? Ils devraient se lever, dire : vous avez quelque chose pour nous ? Non ? Alors on se lève. De quoi ils discutent ? C’est une erreur d’y être allé. » « La prochaine fois, il faudra une assemblée générale. Comme ça on propose et on se met d’accord avant, au lieu de s’engueuler après. »
Jeudi 9 septembre : « Construire la grève »
La pluie et l’accès au dépôt interdit ? Mais « c’est notre dépôt ! » Tout le monde veut rentrer, donc tout le monde rentre. Quelques grévistes discutent de s’adresser aux usagerEs. « Quand t’arrives à la gare il y a rien qui vient des grévistes. Faut leur expliquer que c’est aussi pour eux qu’on fait grève. » Les réactions sont partagées sur les visites de collègues de la RATP ou SNCF. « Ça nous regonfle. C’est bien… et pas bien. Il y a beaucoup de monde, mais c’est pas nous les grévistes qui discutons entre nous. Ils monopolisent le micro, et ça ne construit pas la grève. »
Le vendredi 10 septembre : « En grève pour des choses que le patron veut pas »
« S’il n’y a pas de chauffeurs, il n’y a rien qui sort. C’est les ouvriers le nerf de la guerre. Mais il faudrait aussi des manifs avec des gens normaux, enfin je veux dire des chômeurs et d’autres salariés, ça ferait bouger les choses. » Comment faire ? « Ça manque de coordination. Mardi 14, il y a un rassemblement. Il y a des choses qui vont s’y jouer, est-ce que les gars des autres dépôts vont venir ? Il faudrait qu’on ait les mêmes revendications pour qu’ils ne nous fassent pas reprendre un par un. » Un non-syndiqué prend la parole. « Il n’y a rien à négocier… Moi je suis en grève pour demander des choses que le patron ne veut pas ! » Un autre : « On a déjà gagné. En fait on a tout gagné, puisqu’on a gagné notre propre estime. Ils ont essayé de nous enfoncer et on a relevé la tête. On a reconstruit un truc qui n’existait plus, on se parle. »
Lundi 13 septembre : « Effet "boule de feu" ? »
Des questions : « C’est bizarre, ça fait une semaine qu’il n’y a plus un seul bus à Melun, pourquoi personne n’en parle dans les médias ? Il faut être son propre média. – Exactement ! » Un gréviste remarque dans un tract signé « La CGT, RATP bus » la phrase : « L’extension de la grève aux dépôts de bus de la RATP modifierait le rapport de forces en notre faveur » : « C’est bien dit ! » « Il faudrait que les représentants des grévistes de tous les dépôts se retrouvent pour faire des revendications ensemble. Sinon le DRH va aller de dépôt en dépôt et essayer de les faire reprendre un par un. »
Après l’intervention, chaudement accueillie et applaudie, d’Olivier Besancenot, un gréviste prend le micro. « Il faudrait peut-être faire un tract, qui donne nos revendications. Pour les usagers, pour qu’ils sachent pourquoi on fait grève, mais aussi pour les collègues. Montrer qu’on est la même grève ! » Un autre répond : « Ici à Vaux-le-Pénil, la grève est forte et on a des revendications hautes […] Il faut qu’on reste déterminés ici, on lâche rien ! » Il est applaudi. Les grévistes ont l’après-midi pour s’emparer de la question : vaut-il mieux se replier sur un bastion solide, ou tendre la main à d’autres dépôts en difficulté ? Si Transdev, la SNCF, Keolis, la RATP, etc., faisaient une chaîne, « ça pourrait faire "effet boule de feu" », lâche un gréviste…