Publié le Lundi 8 février 2016 à 12h09.

Autonomie, indépendance, autodétermination : trois lignes pour trois projets

À l’origine de la résurgence du nationalisme corse contemporain (globalement de 1960 à 1975), ce sont les tendances régionalistes, puis autonomistes, qui incarnent le renouveau de la question nationale.

Leur base sociale est clairement constituée de petits agriculteurs, commerçants et notables locaux dont les intérêts sont directement menacés par les bouleversements économiques d’alors. 

Du régionalisme à l’autonomisme

Le mode de développement imposé par les gouvernements français de cette époque, principalement axé sur la monoculture et le tout tourisme, a commencé de fédérer cette fraction de la petite bourgeoisie en la détachant de l’influence des organisations clanistes traditionnelles. Leur mutation, du régionalisme à l’autonomisme doit plus à la répression exercée par l’appareil d’État qu’à leur volonté et à la réalité de leur véritable nature politique, qui les situerait de nos jours dans la mouvance de Bayrou.

C’est l’avènement du FLNC qui met provisoirement un terme en 1976 au leadership des autonomistes. L’irruption de jeunes militants, pour beaucoup issus des universités françaises (Aix, Marseille, Nice et Paris) sur le devant de la scène, correspond à la radicalisation d’une large partie du nationalisme qui se positionne en soutien d’une stratégie politico-militaire connue sous le nom de Lotta di Liberazione Naziunale (LLN). D’abord fondée sur la revendication d’indépendance, cette stratégie évolue vers le concept de droit à l’autodétermination. Jusqu’à la deuxième moitié des années 1980, c’est cette tendance qui se porte à la direction du mouvement national.

Les scissions propres au FLNC de cette époque débouchent sur l’exécution de militants et des affrontements armés entre fractions rivales, précisément au moment où est élaboré le statut « Joxe »1. C’est ce plan qui dessine les contours des évolutions institutionnelles encore aujourd’hui en application. 

Modernisation… et modération

Quelques années après ces épisodes sanglants, à l’aube du 21e siècle, surgit au devant de la scène une mouvance, fruit partiel de recompositions au sein du nationalisme et de l’arrivée de nouvelles générations dont Gilles Simeoni constitue la figure emblématique. En modernisant le discours des autonomistes, cette tendance qui se situe en dehors de la clandestinité, va peu à peu gagner en influence, jusqu’aux succès électoraux évoqués précédemment.

Seule A Manca (La Gauche) a conservé dans son programme la revendication du droit à l’auto- détermination, tout en prolongeant le concept de « voie corse au socialisme »2, lui aussi abandonné par ceux qui se réclament aujourd’hui de l’indépendance.

Sur la question des droits démocratiques, ces trois tendances du mouvement nationale se rejoignent, avec par exemple l’enseignement obligatoire et l’usage de la langue corse dans tous les domaines (une revendication commune fondée sur l’idée de la co-officialité langue corse-langue française).

Interclassisme et économie de marché

Si la tendance autonomiste est relativement claire, au moins en matière de relation entre la Corse et l’État français, il n’en va pas de même pour les indépendantistes de Corsica Libera qui, tout en évoquant la rupture comme horizon probable, concentrent cependant l’essentiel de leurs démarches sur le seul terrain électoral et ce dans le cadre étroit des institutions françaises. Ainsi leur revendication de demande d’inscription de la reconnaissance du peuple corse dans la constitution française témoigne de cette stratégie.

Les fractions autonomistes et celle dite indépendantiste ont par ailleurs d’autres points communs : leur composition interclassiste et leur adhésion, de fait, aux règles de l’économie de marché. Cela ne doit rien au hasard dans la mesure où leurs directions sont largement dominées par la petite bourgeoisie, laquelle tente de confondre la défense et la promotion de ses intérêts avec celle de l’ensemble des classes qui constitue la société corse. Pour preuve, leur demande insistante d’un statut dérogatoire dans le domaine de la fiscalité, dont on voit bien que les salariéEs, pas plus que les chômeurEs, y aient quoi que ce soit à gagner. De plus, il est parlant qu’à peine intronisés, les nationalistes souhaitent que le gouvernement revienne sur l’abrogation d’un décret3, lequel, bien qu’instauré aux lendemains de la colonisation française, exonérait tous les résidentEs de Corse des frais de succession.

Pour le droit à l’autodétermination, pour une citoyenneté ouverte

Pour sa part, A Manca considère que seul le droit à l’autodétermination, parce qu’il est un processus non lié aux institutions françaises, fonde la base de la lutte d’émancipation. Il implique l’idée d’une citoyenneté ouverte à tous quelles que soient leurs origines, par l’instauration d’une Assemblée nationale provisoire (ANP), un des moyens de lutte restant la perspective d’une grève générale dans la mesure où le monde du travail est largement majoritaire au sein de la société corse.

C’est principalement pour cela que nous avons mené campagne pour le boycott actif des dernières élections territoriales. L’illusion du vote utile en faveur des nationalistes, si elle a largement été majoritaire, se fissurera immanquablement dès que ceux-ci mettront en œuvre leur programme.

D’ores et déjà, le sombre nuage de la prolifération des formations néo-fascistes, dont certaines se réclament de la lutte de libération nationale, est à mettre en relation avec la catastrophique situation sociale que vivent des dizaines de milliers de personnes. Ce phénomène lié aux immanquables désillusions qui ne tarderont pas à apparaître, justifie que la lutte anti-fasciste qui commence s’appuie sur un programme d’urgence économique et social, afin d’assécher le marais où prolifèrent les pires tentations. C’est à cela que la Manca s’est attelée, notamment par la création d’un collectif anti-fasciste et donc anti-raciste : U Culletivu No Pasaran !

  • 1. Réforme institutionnelle initiée par le gouvernement Rocard et dont Joxe, alors ministre de l’Intérieur, sera le concepteur en 1989.
  • 2. Ce thème, inclus dans les axes programmatiques du FLNC, disparaît des textes de cette organisation en 1993.
  • 3. Connu sous le nom d’« arrêtés Miot », cette disposition exonérait (entre autres aspects) de taxes les produits à l’importation tout en maintenant une fiscalité lourde sur les marchandises à l’exportation. Ces arrêtés coloniaux ont grandement participé à instaurer des liens de dépendance entre la Corse et la France. Leur abrogation, à laquelle A Manca reste fidèle, fut dans les premiers temps du nationalisme contemporain une revendication centrale.