Publié le Dimanche 17 avril 2016 à 12h50.

La croissance de la protestation sociale et la crise de l’opposition

Jusqu’à tout récemment, l’un des éléments importants du « consensus de Crimée » restait la criminalisation de tout mécontentement politique ou social.

La propagande anti-ukrainienne massive, qui a rempli les médias pro-gouvernementaux depuis le début de 2014, a toujours insisté sur la relation entre la protestation de masse, avec le chaos inévitable, et l’appauvrissement. Un argument conservateur classique a été développé selon lequel le désir des masses de changer quelque chose en mieux conduirait à la fin à une détérioration inévitable... L’autre versant de cet argument est l’externalisation de tout conflit social, c’est-à-dire l’idée que derrière tout conflit social, il y a la volonté cachée des forces étrangères de « disloquer la situation » et de provoquer un « changement de régime » aux conséquences désastreuses pour l’indépendance nationale du pays... Toute grève ou mouvement social local est traité instantanément comme une tentative « d’organiser un nouveau Maïdan ». C’est seulement fin d’année dernière que cette forme de propagande a commencé à perdre son pouvoir magique.

Les protestations liées à divers aspects de la crise et de la politique « anti-crise » menée par le gouvernement ont lieu de plus en plus souvent, mais restent encore bien loin non seulement de l’affirmation d’un agenda alternatif, mais aussi de la coordination d’actions au niveau national. L’exemple le plus important de ce genre de protestation a été le rassemblement des chauffeurs-camionneurs lancé en novembre 2015. Dans 40 régions de Russie, les propriétaires de camions se sont opposés simultanément à la nouvelle collecte des impôts sur les dommages causés à l’infrastructure routière.

Début de renouveau des luttes

Depuis 2015, le nombre de manifestations – spontanées ou organisées par des syndicats indépendants – contre les suppressions d’emplois ou les baisses ou retards de salaires, a considérablement augmenté. Ainsi, au cours de l’année passée, le nombre de manifestations a augmenté de 40 % par rapport à 2014. Parmi les participants aux grèves (la plupart du temps ce sont des grèves « italiennes » ou à court terme), on retrouve les travailleurs des grandes entreprises industrielles et du secteur public (hôpitaux, services publics), du secteur des services, et même les employés de l’industrie de guerre.

Les partis d’opposition qui font partie du « consensus de Crimée », le Parti communiste et  Russie Juste, jouent un rôle de plus en plus important dans l’absence d’orientation des participants à des manifestations encore très isolées. En l’absence d’organisations fortes ayant la volonté de participer au conflit, les manifestants cherchent des intermédiaires politiques intégrés dans le système et possédant les ressources nécessaires pour rendre publiques leurs demandes. Aujourd’hui encore, on peut voir comment la fonction de « soupape de sécurité » auquel les communistes russes se sont habitués depuis les années 1990, est de plus en plus utilisée par le Kremlin et s’intègre organiquement dans la logique de la campagne électorale récemment lancée. 

Quelle opposition ?

L’opposition libérale (comme le Parti républicain de la Russie - Parnas), absolument pas intégrée au système politique et qui insiste sur la démocratisation radicale, reste isolée du mécontentement social croissant. Tout cela est prédéfini par la tradition politique et sociale. Les héritiers des « réformateurs libéraux » de l’ère de Eltsine, ses dirigeants comme Mikhail Kassianov et Alexei Navalny, voient la source principale de changement dans un mécontentement croissant des certains secteurs des grands et moyens propriétaires. Leurs exigences de « nettoyage » de l’appareil d’État et des fonctionnaires corrompus, de la démocratisation du système, sont combinées avec la reconnaissance de la nécessité des « réformes structurelles » et de la « fin de la confrontation avec l’Occident ». Pour eux, le démantèlement d’un régime personnalisé est plus envisageable sous la forme d’un changement par le haut avec la participation d’élite dite moderne, les mouvements de rue extraparlementaires étant considérés comme un facteur secondaire pour faire pression sur les autorités.

La gauche radicale qui ne fait partie ni de l’opposition au « consensus de Crimée » ni de la « fronde » libérale, doit trouver une connexion avec le mouvement de protestation sociale qui s’éveille, mais qui n’est pas encore organisé et politiquement formé. Le programme de ce mouvement ne peut être que démocratique et socialiste. En même temps, il devra donner une réponse concrète à la crise nationale dans laquelle se trouve aujourd’hui la Russie.