La sinistre chronique du terrorisme occupe régulièrement la une de l’actualité internationale avec son corollaire, la propagande obsessionnelle autour de « la guerre contre le terrorisme ». Cette dernière vise à prendre l’opinion en otage comme si Daech et ses diverses succursales étaient un phénomène sans causes ni racines, auquel il ne serait possible de répondre que par une violence symétrique, barbare.
Il y a là un mensonge d’État construit consciemment par les dirigeants des grandes puissances et leurs états-majors militaires. Il tait les réactions en chaîne engendrées par leur politique, leurs conséquences dramatiques dans lesquelles les populations sont piégées et qui constituent le terreau du terrorisme et du militarisme. Cela résulte de décisions et de choix qui n’ont rien de fatals ni d’inéluctables, qu’il est possible de combattre.
La politique des grandes puissances trouve des relais dans les luttes d’influence et les rivalités entre les puissances régionales qui, en fonction de leurs intérêts, ont elles-mêmes joué un jeu trouble dans le développement des forces réactionnaires fondamentalistes instrumentalisées contre les révolutions arabes et qui jouent leur propre jeu macabre.
La crise du Qatar ouverte le 5 juin illustre cette logique criminelle. Deux semaines après la réunion d’une cinquantaine de pays arabes et musulmans dans la capitale saoudienne, au cours de laquelle Trump avait désigné l’ « axe du mal » (l’Iran et l’État islamique), le Qatar se retrouve mis au ban par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte. Ces pays lui ont transmis une liste de treize demandes, parmi lesquelles l’arrêt de tout contact avec les « organisations terroristes ». Au cœur du conflit, les Frères musulmans que le Qatar avait soutenus au cours de la contre-révolution en Tunisie, en Libye et en Égypte, notamment via son bras médiatique al-Jazeera dont la fermeture est exigée. La dite lutte contre le terrorisme oppose des États qui sont directement responsables de son développement, qui l’ont instrumentalisé dans leurs rivalités avec la complicité des USA.
Nouveau désordre mondial
L’administration Trump joue sur deux tableaux, soutenant l’Arabie saoudite et l’Égypte sans rompre avec le Qatar. Les USA y disposent d’une base militaire qui abrite plus de 100 avions opérationnels et de 11 000 militaires. Le 15 juin 2017, ils ont négocié la vente de quinze avions de combat F-15 pour une somme de 12 milliards de dollars !
Pour les uns et les autres, il ne s’agit pas, au fond, de doctrine religieuse mais bien de conflits politiques, qui recouvrent des intérêts économiques, notamment le contrôle des ressources pétrolières et gazières. Ce sont ces luttes d’influence qui ont déstabilisé le Proche et le Moyen-Orient, les pays du Sahel et, au-delà, l’ensemble des relations internationales.
Elles s’inscrivent dans la fin de l’époque impérialiste où les grandes puissances dirigées par les USA maintenaient l’ordre mondial dans le cadre de la coexistence pacifique avec l’ancienne URSS. Un nouveau désordre mondial où se combinent libéralisme et impérialisme s’est mis en place, avec des rivalités croissantes aux niveaux international, régional et local, qui ont permis l’émergence de Daech et de ses succursales.
Les conséquences de cette instabilité ne connaissent pas de frontière. La guerre a des répercussions dans tous les domaines, en premier lieu le drame des migrants, le terrorisme, l’état d’urgence permanent, la montée de l’extrême droite en Europe et celle de l’islam politique et des autres intégrismes religieux. Tous les symptômes morbides du capitalisme sénile, des décompositions sociales et du chaos international entraînés par les politiques libérales et impérialistes pour étouffer, mater, briser les révoltes des peuples.
Yvan Lemaître