Publié le Dimanche 1 novembre 2015 à 10h47.

Maroc : Forces et faiblesses de la monarchie

La monarchie absolue s’est consolidée en infligeant une défaite au mouvement national et à ses ailes radicales après l’indépendance, symbolisée par l’assassinat de Ben Barka et l’écrasement dans le sang de la révolte populaire à Casablanca en mars 1965.

Elle a su combiner l’appareil d’État moderne, hérité de la colonisation, et les structures locales de domination : le makhzen, pouvoir central mais aussi un mode de domination visant à centraliser les ressources et contrôler les territoires par le moyen de la force et de la cooptation. Elle a pu s’ériger comme une force sans concurrence et sans opposition réelle dans le champ politique institutionnel.

Derrière la façade pseudo-démocratique

Si Hassan II a été particulièrement brutal, il a consolidé, en fin de règne, une façade démocratique dont la fonction est de canaliser et corseter la contestation sociale et politique. Le multipartisme et les élections n’entament pas un système consensuel où ne sont remis en cause ni le cadre des politiques économiques, ni la suprématie du roi et de ses ministères de souveraineté, ni la gestion du Sahara occidental. Les scrutins dégagent des majorités et oppositions hétéroclites selon les circonstances et les besoins du pouvoir, quel que soit les résultats des urnes. La lutte des places permet de renouveler les élites, d’élargir le système de cooptation, de favoriser de nouveaux acteurs moins discrédités tout en maintenant un équilibre sous surveillance.

Ainsi, les dernières élections régionales montrent l’épuisement des partis historiques issus ou liés au mouvement national et la montée de nouvelles forces de substitution dans le paysage politique. C’est le cas du PAM (Parti de l’authenticité et de la modernité) crée par un proche du Palais et le PJD (Parti justice et développement ), courant islamiste intégré.

Le Parlement et le gouvernement n’ont pas d’autonomie réelle. Autour du cabinet royal, existe un « gouvernement parallèle » issu de « l’État profond » qui pilote les décisions stratégiques. Sans compter le poids des ministères de souveraineté (défense, politique étrangère, intérieur) qui échappent au gouvernement, malgré la réformette constitutionnelle de 2011. Les walis (équivalent des préfets), nommés par le roi, ont plus de poids que le Premier ministre.

Cette méthode d’intégration/cooptation sans partage du pouvoir a été élargie au mouvement syndical et à la société civile dont une large partie est liée au financement européen ou aux fonds royaux. S’est construit ainsi une architecture du pouvoir où la monarchie, en apparence au-dessus de la mêlée, s’est entourée de médiations multiples, de tampons et relais vis-à-vis de la société.

La délégitimation du pouvoir

À la différence d’autres dictatures, la monarchie n’a pas cherché à faire le vide autour d’elle et a su s’appuyer et favoriser des corps intermédiaires, eux-mêmes en concurrence et contrôlés, légitimant son pouvoir. Elle a pu aussi, à travers un clientélisme d’État, consolider des appuis sociaux divers et jouer sur des registres de légitimité multiples. Celle qui procède de l’univers précapitaliste mettant en avant une sacralité religieuse et symbolique du pouvoir, le roi, « commandeur des croyants » et descendant du Prophète, celle moderne, inauguré par le pluralisme formel, une alternance électorale, une politique d’« assistance sociale » par l’intermédiaire de fondations ad hoc.

Mais l’ensemble des rapports de domination use des cordes classiques du système makhzen : la crainte, l’allégeance et la dépendance, y compris sur le terrain économique. Et le maintien d’un appareil sécuritaire pléthorique.

Ce système a permis au pouvoir d’augmenter ses « ressources de domination », mais sa légitimité est restreinte. Les élections voient un boycott massif : les partis et syndicats sont discrédités. Les digues qui permettaient de maintenir une paix sociale ont largement volé en éclats. Nombre d’attributs de la monarchie sont contestés publiquement : le mélange du pouvoir et des affaires, le statut religieux, le maintien d’une politique répressive, la corruption institutionnalisée. La stratégie visant à récupérer les revendications sociales et démocratiques tout en les vidant de leur contenu ne fonctionne pas sur la durée.

L’ébranlement de l’autorité de l’État sous l’effet du M20F (le Mouvement du 20 février 2011) dans le cadre du processus régional, l’approfondissement de la crise sociale et de la façade démocratique, ont ouvert un processus souterrain de délégitimation du pouvoir et, en réponse, une fermeture des « marges démocratiques » tolérées jusque-là.

Paradoxalement, le pouvoir qui cherche à prévenir les risques d’un soulèvement populaire et démocratique plus radical, est en train d’en créer, par sa politique même, les conditions.

Chawqui Lotfi