Erdogan a adopté depuis un certain temps une attitude sévère à l’encontre d’acteurs réels ou imaginaires, allant du Conseil de sécurité de l’ONU aux autorités de l’Union européenne... bref, à l’encontre de l’Occident en général, qu’il tient pour responsable de tous ses échecs.
Il peut aisément parler de l’adhésion prochaine de la Turquie à l’Organisation de coopération de Shanghai, alors que le pays n’a pris aucune disposition pour anticiper un départ éventuel de l’Otan et que l’Europe représente la moitié de son commerce extérieur. À l’heure actuelle, les seuls pays qu’il ne critique pas sont les États arabes du Golfe et la Russie. Quant aux relations avec Israël auquel il était prêt à déclarer la guerre, elles se sont parfaitement améliorées...
Erdogan, qui s’attribue un rôle impérial au Moyen-Orient, affirme avec un discours de plus en plus nationaliste et islamiste que la Turquie est confrontée à un complot international. Il conteste le Traité de Lausanne qui constitue le fondement et la légitimité internationale de la République de Turquie et revendique des sphères d’influence à l’Est et à l’Ouest. Suite à l’affaiblissement des relations avec l’UE et au soutien donné par les États-Unis aux forces kurdes en Syrie (YPG-PYD), il vise à un rapprochement avec la Russie, avec laquelle pourtant toutes les relations bilatérales étaient suspendues après qu’un avion chasseur avait été abattu en novembre 2015. La Russie, qui y a vu une opportunité pour faire une brèche dans l’Alliance atlantique, n’est pas restée indifférente aux efforts de la Turquie, et les relations ont commencé à s’améliorer. En conséquence, le gouvernement turc a obtenu une autorisation partielle de la Russie pour entrer en Syrie et avance maintenant jusqu’à la porte d’Alep.
Pouvoir régional et affirmation nationale
Au début du « printemps arabe », les Frères musulmans semblaient avoir une influence sur le processus révolutionnaire et Erdogan espérait assumer un jour la direction de cette organisation politique transnationale. Mais l’influence des Frères musulmans dans la région a disparu, et Erdogan s’est trouvé tout d’un coup confronté à une ceinture kurde apparue dans le nord de la Syrie. Erdogan, qui avait misé sur les groupes djihadistes pour contrecarrer à la fois les Kurdes et Assad, a été déçu par l’affaiblissement de ces groupes et par la quasi-inexistence de l’Armée syrienne libre à la frontière turque, amenant son armée en Syrie, cela bien entendu avec l’accord de la Russie.
Néanmoins, étant donné qu’il est peu probable que Trump abandonne son soutien aux Kurdes, il est impossible qu’Erdogan, dont les attentes stratégiques sont très différentes de celles de la Syrie, de l’Iran et de la Russie, puisse maintenir ses positions dans la région ou atteindre ses objectifs en travaillant avec les forces locales. Son discours, qui utilise une éventuelle vague de migrants en Europe comme moyen de chantage, vise principalement à consolider son pouvoir au niveau national.
Cette politique étrangère fragile, qui accompagne une économie tout aussi fragile, se poursuit en faisant des zigzags inattendus.
D’Istanbul, Masis Kürkçügil