L’origine de Daech ou du soi-disant « État islamique » (EI) se trouve dans la constitution d’al-Qaida à la suite de l’invasion militaire étatsunienne et britannique de l’Irak en 2003.
Son leader actuel Abou Bakr al-Baghdadi a commencé son expérience djihadiste après l’invasion, lorsqu’il a rejoint la branche irakienne d’al-Qaida sous le commandement du Jordanien al-Zarkaoui. En 2010, il a pris la tête de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL aujourd’hui connu sous le nom de l’EI), qui a remplacé al-Qaida en Irak.
L’invasion de l’Irak en 2003
L’invasion militaire étatsunienne et britannique fut l’élément décisif dans la première expansion du groupe djihadiste. Les conséquences destructrices de l’invasion ont provoqué la mort d’un million d’Irakiens et le déplacement forcé de 4 millions d’autres, et cela après plus de 10 ans de sanctions inhumaines. La politique d’occupation des États-Unis a créé les conditions de développement de l’EI : répression féroce de toute opposition politique à l’occupation, mise en place forcée de politiques néolibérales et répression des mouvements syndicalistes indépendants, destruction des institutions étatiques (armée, administration, système universitaire, etc.), mise en place d’un système politique basé sur le confessionnalisme politique.
Cela sans oublier la politique de « débaathification » mise en œuvre par les forces d’occupation des États-Unis après l’invasion de l’Irak, qui a conduit à une profonde marginalisation de la population sunnite. Avec ces mesures, quiconque avait été membre du parti Baath de Saddam Hussein était immédiatement démis de ses fonctions, exclu du secteur public et perdait sa pension de retraite. La marginalisation des populations sunnites s’est également accompagnée d’attaques fréquentes des forces d’occupation étatsuniennes contre les villes et les villages sunnites. Des dizaines de milliers de prisonniers ont été incarcérés dans des prisons gérées par les USA, où l’isolement, la torture et la « bureaucratie taylorisée de la détention » étaient régulièrement utilisés pour consolider l’occupation.
Ces politiques ont favorisé la montée des tensions confessionnelles et provoqué une terrible guerre opposant groupes extrémistes chiites et sunnites entre 2005 et 2008, avec une moyenne mensuelle de 3 000 morts et des déplacements de populations de plusieurs millions de personnes.
Les gouvernements irakiens successifs dominés par le mouvement fondamentaliste chiite Da’wa continueront et intensifieront même les politiques de marginalisation et d’oppression des populations sunnites. Les milices fondamentalistes chiites, avec l’aide de la République islamique d’Iran, ont également consolidé leur pouvoir durant ces années. Ces milices sont détestées par de larges sections des populations sunnites d’Irak à cause de leurs exactions et de leurs discours et pratiques confessionnels.
Dans ce contexte, un certain nombre d’anciens officiers de Saddam Hussein ont rejoint les rangs de l’EI. Une dynamique également liée à un processus d’irakisation du commandement d’al-Qaida en Irak, au milieu des années 2000, mais aussi aux politiques d’islamisation du régime baathiste à partir du début des années 1990 de tous les secteurs de l’État, y compris l’armée et les services de renseignement, et de la société.
Les processus révolutionnaires
La deuxième phase d’expansion de l’EI va se dérouler après le début des processus révolutionnaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de 2010-2011. L’EI n’a joué aucun rôle dans les soulèvements populaires et les actions de masse du type grèves et désobéissance civile. Le groupe djihadiste voyait au contraire ces mouvements de manière suspicieuse en raison de leurs revendications démocratiques et sociales. Après la chute du dictateur égyptien Hosni Moubarak, l’EI a d’ailleurs publié une déclaration dénonçant le sécularisme, la démocratie et le nationalisme, appelant les Égyptiens à ne pas remplacer le meilleur par le pire.
Les répressions féroces et massives des anciens régimes et l’incapacité de réaliser les revendications de justice sociale ont progressivement permis l’expansion de l’EI dans certains pays, l’organisation se nourrissant des frustrations populaires et de la radicalisation de certaines sections de la population. L’EI et d’autres groupes djihadistes sont des symptômes du recul des processus révolutionnaires.
Dans ce contexte, l’implication dans la révolution syrienne à partir de la fin 2011 à travers Jabhat al-Nusra (qui était à l’époque une branche de l’EI, financée massivement par ce dernier et constituée de nombreux hauts cadres de l’organisation) a permis au groupe de l’EI de s’étendre à nouveau massivement. Les combats en Syrie ont offert à l’EI un entraînement et des opportunités d’apprentissage sans précédent, en plus du contrôle de larges portions de territoires. La guerre du régime Assad contre le peuple syrien et les aspirations démocratiques du mouvement populaire ont fortement contribué à son expansion.
Dans le même temps en Irak, la répression des manifestations populaires dans les zones sunnites en février 2011 et 2013 va redonner un élan à l’EI. L’armée irakienne, reconstruite sur des bases communautaires et minée par la corruption, était de plus en plus perçue, dans les régions à majorité sunnite, comme une armée d’occupation. L’intensification de la répression et la poursuite des politiques confessionnelles du gouvernement ont poussé des sections de la population à se rallier à l’EI, qui avait presque disparu en Irak en 2010.
Daech a ainsi connu une progression sans précédent à la suite de l’écrasement des mouvements populaires, en se nourrissant de la répression massive perpétrée par les régimes autoritaires, en Syrie et alentour, et des haines religieuses générées par l’intrumentalisation du confessionnalisme.
Joseph Daher