Publié le Vendredi 24 janvier 2020 à 18h45.

Dans le privé : renouer avec la grève

Pour la première fois depuis longtemps, la question de l’extension d’une grève inter­professionnelle aux entreprises du privé se pose réellement. Mais la grève générale ne se décrète pas, elle se construit et c’est difficile…

Des obstacles insurmontables en quelques semaines

L’évolution du salariat et de l’organisation du travail sont des éléments centraux du problème : destruction des grosses concentrations au profit de la multiplication des sous-traitants et des filiales, recours massif aux contrats précaires, chômage de masse, destruction des collectifs de travail, individualisation des évaluations… Certains secteurs, comme les services d’aide à la personne, concentrent toutes les difficultés : comment faire grève quand on a une tournée de patientEs à visiter, qu’on est en contrat précaire à temps partiel, que les salaires sont faibles, que l’on est, parfois, une femme seule avec des enfants à charge ?

En contrepoint de l’affaiblissement de la solidarité ouvrière et des structures syndicales, la répression patronale ne se fait pas attendre, d’autant plus qu’elle est légitimée par la répression de l’État dans la rue. Licenciements des grévistes, placardisation, non-renouvellement de contrat… viennent s’ajouter à la discrimination syndicale permanente.

Pour finir ce tableau peu réjouissant, les défaites accumulées ces dernières années ne viennent certes pas encourager un secteur qui n’avait connu aucune mobilisation contre l’allongement à 40 annuités pour une retraite pleine et entière dans le privé en 1993. À de très rares exceptions près, les luttes récentes dans le privé avec grève massive n’ont eu lieu que lors de fermetures d’usines ou de plans de licenciements. Finalement, le privé n’a pas connu de mouvement interprofessionnel significatif depuis… mai 1968 !

Pourtant un vent souffle sur le privé

On peut commencer par citer les raffineries déjà mobilisées contre la loi travail, ou les ports et docks avec des taux de syndicalisation qu’on ne connait nulle part ailleurs… Mais en dehors de ça, la grève reste ultra minoritaire : rien souvent, 2 %, 4 % parfois, 20 % exceptionnellement… Pourtant les appels à la grève des syndicats et des structures locales n’ont pas été aussi nombreux depuis bien longtemps. Les sollicitations des salariéEs ont explosé et les questions basiques qu’ils/elles posent sont significatives du recul dramatique de la pratique de la grève dans le privé : peut-on faire grève ? Comment ? Faut-il se déclarer ? 

Alors beaucoup trouvent des « moyens » de venir quand même aux manifestations, sans être en grève : sur leur temps de repas, en posant des RTT, en prétextant les enfants à garder…

Finalement, le privé est bien plus présent que lors des mouvements précédents mais cela reste faible, trop faible. Lorsque des problématiques locales existent et que les salariéEs sont mobilisés, l’effet est parfois très positif et les revendications spécifiques viennent renforcer celle du retrait de la réforme… Mais parfois c’est l’inverse : englués dans les batailles juridiques, épuisés par la lutte locale, par peur de « disparaitre » dans la mobilisation générale… les boîtes en lutte ne sont pas toujours présentes dans le mouvement.

Construire avec patience et détermination

Il n’y a malheureusement pas de raccourci possible et les rythmes différenciés, de la SNCF aux boîtes du privé, sont une des problématiques de ce mouvement. Mais son ampleur, sa variété à la fois en termes de secteurs présents mais aussi de formes de mobilisations, sa popularité dans l’opinion… ne pourraient s’expliquer sans que l’ensemble de la population en soit partie prenante et donc aussi les travailleurEs du privé.

La question de la grève dans le privé reste un point dur : l’ampleur de la réforme de la protection sociale voulue par le patronat nécessite, pour s’y opposer, un rapport de forces extrêmement puissant. Pour l’emporter, la détermination du mouvement social dans ses formes d’action doit être à la hauteur de celle du patronat et du gouvernement. Une seule solution : le blocage des moyens de production par la grève des travailleurEs.