« Le temps pendant lequel l’ouvrier travaille, est le temps pendant lequel le capitaliste consomme la force de travail qu’il lui a achetée. Si le salarié consomme pour lui-même le temps qu’il a de disponible, il vole le capitaliste » (K. Marx, Le Capital, L1, III, 10, la journée de travail)
« Nous devons travailler plus et plus longtemps » (E. Macron, interview télévisée 14 juillet 2022)
Dans la société capitaliste, le droit aux loisirs, à un temps nécessaire pour se détendre et se reposer, hors la récupération immédiate de la fatigue, développer ses capacités créatrices, ses aptitudes physiques, sa culture, construire des relations sociales riches et diverses est l’apanage de la classe dominante.
Les classes désignées (le terme est révélateur) comme « laborieuses » ont pour leur part vocation à passer le plus possible de leur temps disponible au travail contraint, générateur (directement ou indirectement) de plus-value. Pour imposer cette contrainte, les capitalistes disposent d’une arme absolue : toute interruption du travail prive instantanément le/la salariéE des moyens de vivre et de faire vivre sa famille.
L’instauration, résultat des combats ouvriers, d’une protection sociale, permet au/à la salariéE de continuer à bénéficier d’un revenu de remplacement pour vivre, lui/elle et sa famille, même s’il/elle doit temporairement interrompre son travail. La classe dominante s’y est toujours opposée, dénonçant un encouragement à l’oisiveté « naturelle » des classes populaires. L’idéologie de la « valeur travail » et de « l’assistanat » n’en sont que les derniers avatars.
La Sécurité sociale : le salaire socialisé pour financer le « hors travail »
Pour le capitaliste, prendre sur ses profits, pour payer unE salariéE au travail est un mal nécessaire. Le payer à ne « rien » faire est plus difficilement acceptable. Tel est pourtant le rôle des cotisations sociales qu’il est dans l’obligation de verser. Cette partie socialisée du salaire est mise en commun dans les caisses de Sécurité sociale et reversée en fonction des besoins.
Outre le remboursement des soins, les cotisations sociales permettent d’assurer en cas de nécessité un revenu de remplacement pour les situations où le/la salariéE se trouve « hors travail » : maternité, retraite, maladie, chômage, études et formation. Elles permettent par les allocations familiales de reporter la mise au travail précoce des enfants et leur accession à une éducation de base.
Au cours des cinquante dernières années, les contre-réformes libérales ont cherché à rogner cette partie du salaire pour augmenter celle des profits. Réduire les allocations chômage en contraignant le/la salariéE à retourner au travail quelles que soient les conditions, imposer des jours de « carence » pour limiter les arrêts maladie, réduire les pensions et retarder l’âge du départ en retraite pour diminuer le budget consacré à la retraite sont les différentes facettes de cette offensive.
Permettre la socialisation du travail reproductif
La Sécurité sociale offre aussi la possibilité d’améliorer la socialisation du travail reproductif, reposant traditionnellement pour l’essentiel sur les femmes dans le cadre de l’institution familiale. Parmi ses missions : fournir des équipements pour la petite enfance (crèches) financés par les caisses d’allocations familiales.
Un « salaire à vie » pour prendre en charge le « hors travail »
Un projet politique émancipateur doit viser à élargir la prise en charge de toutes les situations « hors emploi » en assurant leur financement par un « salaire prolongé » et des services publics. Cela passe par :
• la généralisation d’un service public de la petite enfance financé par la Sécurité sociale ;
• le versement d’allocations familiales dès le premier enfant sans condition de ressource ;
• au-delà des études secondaires, droit à un présalaire étudiant ;
• l’indemnisation du chômage doit être intégré au sein de la Sécu. Cette indemnisation doit être la prolongation du salaire, non un revenu de survie ;
• le versement des indemnités journalières aussi longtemps que les soins l’exigent, correspondant au salaire, sans jours de carence ;
• le droit à la retraite, avec prolongation des meilleures années de cotisation à 60 ans pour toutes et tous, à taux plein et 37,5 années de cotisation (55 ans et 35 ans de cotisation pour les travaux pénibles) ;
• le financement intégral par la Sécurité sociale d’un service public de la perte d’autonomie (handicap et 4e âge).
Un autre partage des richesses, une Sécurité sociale autogérée par les assuréEs
Financer le « hors travail » exclusivement par la part dite « patronale » des cotisations sociales 1 suppose bien sûr un affrontement avec la classe dominante, pour une modification radicale du partage des richesses autour des revendications suivantes :
• en finir avec toutes les exonérations de cotisations sociales pour les employeurs ;
• supprimer toutes formes d’emplois précaires ou aidés ;
• augmenter les salaires pour une hausse également des cotisations sociales.
Faire vivre ce projet émancipateur, suppose une Sécurité sociale indépendante de l’État et des employeurs gérée par les représentantEs éluEs, contrôlables et révocables des assuréEs sociaux eux-mêmes : une Sécurité sociale autogérée.
1 – Les cotisations dites salariales ne sont qu’une manière de réduire le salaire net. Elles doivent être supprimées.