Avec officiellement plus de 10 % de chômeurEs, près de 6 millions de personnes en prenant en compte toutes les situations et le fait que près de la moitié ne sont pas indemnisés, la question du chômage est au cœur de la situation économique, sociale et politique. L’entêtement de Hollande ou Sapin à nous annoncer le recul de ce massacre social n’a d’égal que leur acharnement à chercher la solution du côté des aides au patronat. Les restructurations, fermetures de sites, licenciements massifs depuis 30 ans ont dévasté des régions entières du Nord-Pas-de-Calais au Languedoc-Roussillon en passant par la Lorraine. Des quartiers entiers sont sinistrés, notamment dans les banlieues ou quartiers périphériques des grandes villes.
L’objet de ce dossier est d’en décortiquer la réalité et les mécanismes sans oublier les désastres sociaux qu’ils cachent. Et ce surtout à l’heure où Pôle emploi s’acharne sur ces personnes en détresse dans une politique mêlant radiations, abandons et harcèlement. Et pour faire mettre fin à ce fléau social, ne pas reculer sur ce qui n'est pas de l'utopie mais des urgences : interdire les licenciements, réduire massivement le temps de travail.
Le chômage de masse
Le chômage de masse est une réalité depuis quelque trente ans. Avant la crise de 1974, le chômage en France était faible (2,7 % de la population active en 1973). Ensuite, les bataillons de chômeurs vont commencer à augmenter et fournir au capital ce que Marx appelait « l’armée industrielle de réserve » fort utile pour peser sur les conditions de travail et les salaires.
Entre 1975 et 1985, le chômage a connu dix ans de hausse, qui ont porté son taux à plus de 10 % . Depuis, il a connu des fluctuations entre 7,4 % et 10,7 %. Il se situe actuellement (3e trimestre 2013) à 10,9 %, soit plus de 3 millions de personnes.
Pendant longtemps, le taux de chômage féminin a été plus élevé que le taux de chômage masculin, ils se sont rapprochés. Par contre, le taux de chômage des jeunes a explosé : le taux de chômage des 15-24 ans est ainsi passé de 6,8 % en 1975 à 24,5 % en 2013. Depuis 1982, ce taux n’est jamais retombé en dessous de 15 %. Si on tient compte du fait que beaucoup plus de jeunes que dans les années 70 font des études, la part des jeunes chômeurs par rapport à l’ensemble des 15-24 ans et non des seuls actifs, est de 8,9 % en 2012.
Plusieurs statistiques
Les chiffres que l’ont vient de citer viennent des statistiques de l’INSEE. C’est ce que l’on appelle le chômage BIT (Bureau international du travail). Cette définition ne prend en compte que les personnes immédiatement disponibles pour travailler, qui n’ont pas travaillé du tout dans la période récente et qui ont fait des démarches actives de recherche d’un emploi. Cette définition avait un sens avant les années 70 : à cette époque, quand on avait un travail, on était en CDI et à temps plein. Or, aujourd’hui la situation est très différente : CDD, intérim, temps partiel se sont développés. Le travail à temps partiel a fortement augmenté, surtout pour les femmes : parmi celles qui travaillent, 30 % sont à temps partiel en 2012 contre 16 % en 1975 et près d’une femme à temps partiel sur trois souhaiterait travailler plus.
Les contrats de travail temporaire sont de plus en plus nombreux, tout particulièrement chez les jeunes. Ainsi, en 2012, 52 % des salariés de 15 à 24 ans sont en CDD, en intérim ou en apprentissage. Ils étaient 18 % en 1982.De nombreux salariés sont donc condamnés à la précarité ou à des temps partiels trop courts, pas seulement pour leur premier emploi mais pendant de longues périodes et, même s’ils cherchent un autre emploi, ils ne sont pas comptés comme chômeurs. Sans parler des personnes découragées qui ne s’inscrivent pas à Pôle emploi et ne sont pas considérées comme des chômeurs au sens du BIT.
La deuxième source d’information sur le chômage vient des inscriptions à Pôle emploi. Pôle emploi publie de nombreuses statistiques. Celle qui est la plus commentée est proche du chômage au sens du BIT. C’est la catégorie A qui comprend 3 303 000 demandeurs d’emplois en France métropolitaine (3,56 millions avec les départements d’outre-mer) fin décembre 2013. Ce nombre est en hausse par rapport à la fin novembre 2013 (+ 0,3 %, soit + 10 200). Sur un an, il croît de 5,7 %. Mais il existe d’autres catégories d’inscrits : au total, le nombre d’inscrits à Pôle emploi est de 5 563 000 en décembre 2013 (France métropolitaine). Ce chiffre correspond à l’ensemble des personnes en situation insatisfaisante par rapport à l’emploi : certaines n’ont pas d’emploi, d’autres un emploi précaire ou sont dans une formation. Un peu moins de la moitié d’entre elles (48,3 %) sont indemnisées.
Mais ces chiffres ne résument pas l’impact du chômage. De nombreuses familles subissent cet impact : un des conjoints a un emploi, l’autre est au chômage ou bien les enfants vont de petits boulots en petits boulots. Le chômage déstabilise même ceux qui ne le subissent pas directement.
Henri Wilno
Les politiques de l’emploi : des cadeaux successifs aux patrons
Les politiques de l’emploi se sont développées depuis les années soixante-dix, c’est-à-dire depuis l’entrée dans une phase de croissance ralentie et le développement du chômage de masse. L’instrument essentiel de ces politiques est constitué de subventions aux employeurs.
Dans une première étape, face à la montée du chômage, prédomine l’analyse selon laquelle les situations de chômage et les difficultés d’intégration dans l’emploi peuvent être rattachées aux caractéristiques des individus : insuffisance de la formation, passage par le chômage de longue durée, âge, etc. Il conviendrait de remédier à cette situation par des actions de formation et des aides à l’embauche ciblées sur les personnes en difficulté. Ces aides à l’embauche (primes ou allègements des cotisations sociales patronales) concerneront d’abord les jeunes et les entreprises. Au cours des années quatre-vingt, elles seront étendues au secteur non marchand (associations, établissements publics, collectivités territoriales) et aux chômeurs de longue durée. Ces aides prendront la forme d’une série de dispositifs dont les noms varieront au gré des changements de gouvernements mais l’inspiration restera la même. Les principales sont aujourd’hui : l’apprentissage et les contrats en alternance pour les jeunes, les contrats d’insertion pour les chômeurs de longue durée et les jeunes non qualifiés (parmi lesquels les contrats d’avenir créés par Hollande). Au total, ces mesures concernaient 1,2 million de personnes au 3e trimestre 2013 (dont la moitié de jeunes en apprentissage ou alternance).
Et voilà le coût du travail
À partir du début des années quatre-vingt-dix, une nouvelle idée patronale s’impose : le niveau du coût du travail serait, pour une part, responsable de l’insuffisance des créations d’emplois. Des allégements de cotisations sociales employeurs sont donc mis en place à partir de 1993 et sont appelés à prospérer sous les gouvernements successifs. Ils concernent tous les emplois (y compris les personnes déjà employées) au-dessous d’un certain salaire et sont conçus comme des mesures permanentes. Le gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002) liera pour partie les allégements à la réduction du temps de travail. La loi Fillon en 2003 remettra en cause ce lien. Aujourd’hui ces allègements concernent tous les emplois en entreprise jusqu’à un salaire égal à 1,6 SMIC et ils coûtent annuellement 22 milliards d’euros. Hollande et Ayrault y ajoutent en 2012 un « crédit d’impôt compétitivité » qui va monter en charge jusqu’à 20 milliards d’euros. Franchissant un pas supplémentaire, Hollande a annoncé la suppression de la contribution des entreprises aux allocations familiales (de l’ordre de 30 milliards) : elle devrait se combiner avec le crédit d’impôt.
À ces subventions aux employeurs, va s’ajouter le thème de la flexibilité : si les patrons n’embauchent pas, c’est parce que le droit du travail est trop contraignant. Au fil des années, vont être prises des mesures concernant les horaires de travail (contournement des 35 heures, travail le dimanche), le recours aux CDD, facilitant les renvois individuels (avec la rupture conventionnelle), la possibilité de remettre en cause par accord d’entreprise le contenu du contrat de travail (avec les accords compétitivité-emploi) et restreignant les possibilités des syndicats de retarder les licenciements collectifs. Au départ, c’est surtout le droite qui agitait le thème du droit du travail. Avec Hollande, la gauche rattrape son « retard », ainsi l’Accord national interprofessionnel (négocié à la demande du gouvernement) et transposé dans loi en 2013 reprend des idées d’abord avancées par Sarkozy.
Voici sommairement résumés les grands axes de la politique suivie depuis 40 ans. Il faudrait y ajouter les crédits d’impôts et de cotisations sociales dont bénéficient les particuliers employeurs, les allègements de cotisations employeurs ou d’impôts existant dans les zones franches urbaines et les départements d’outre mer. Ainsi que l’épisode des 35 heures à la sauce Jospin, une bonne idée celle-là, totalement gâchée par les concessions au patronat.
« Contre le chômage, on a tout essayé » avait déclaré François Mitterrand. Ce que l’on a surtout fait, c’est céder aux revendications des patrons du privé et créer des emplois au rabais dans le secteur associatif et les fonctions publiques !
Henri Wilno
L’arbre des PSE ne saurait cacher la forêt des licenciements « invisibles »
L’année 2013, comme les précédentes, a été marquée par une longue série de plans sociaux. Entre janvier et septembre, 736 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été mis en place soit 16 % de plus que lors des neufs premiers mois de 2012.
Cependant les licenciements économiques individuels ou réalisés dans le cadre de PSE, ne représentaient que 2,7 % des entrées à Pôle emploi. Les fins de contrats à durée déterminée (CDD qui représentent actuellement plus de 80 % des embauches) étaient, elles, à l’origine de plus de 25 % des inscriptions au chômage, tandis que les fins de mission d’intérim représentaient 5,6 % d’entre elles. Les chômeurs, ce sont d’abord des personnes dont les contrats courts sont arrivés à échéance. La multiplication des contrats précaires (CDD, intérim, contrats « jeunes », sous-traitance artificielle, prestataires) permet de se débarrasser sans bruit de centaines de salariéEs.
Les licenciements économiques ne représentaient plus que 6 % des ruptures de CDI en 2012, contre 57 % pour les démissions et 21 % pour les licenciements pour motifs personnels. Leur poids a été divisé par deux depuis 2009 avec notamment le développement des ruptures conventionnelles créées au début du quinquennat de Sarkozy. Elles correspondent désormais à 16 % des ruptures de CDI, contre 11 % en 2009. Autre évolution : celle des causes déclarées de licenciement. En 1994, 58 % des 840 000 licenciements étaient liés à des motifs économiques. Aujourd’hui, les licenciements pour motif personnel, c’est-à-dire pour fautes, insuffisance professionnelle ou inaptitude, sont à peu près trois fois plus nombreux que les licenciements pour motif économique : en 2004, 76 % des 750 000 licenciements étaient pour motif personnel et 24 % économiques.
Robert Pelletier
C’est ainsi que les chômeurs vivent !
Le président des patrons et son bras armé, la direction de Pôle emploi, veulent faire porter sur les chômeurs eux-mêmes la responsabilité de leur situation. Culpabilisation et contrôles renforcés sont à l’ordre du jour.
La moitié des personnes inscrites à Pôle emploi ne sont pas indemnisées. Les jeunes de moins de 25 ans n’ont pas droit au RSA contrairement aux rumeurs les plus folles qui courent sur les « assistés ». Une fois obtenues, les allocations ne sont pas si faciles à garder : répondre aux convocations stériles et fournir des justificatifs en cas d’absence, actualiser avec le calamiteux « 39 49 » (1).
Les chômeurs acceptent même les petits boulots
La précarité explose avec des contrats de plus en plus courts : 80 % des nouveaux contrats sont des CDD. Un chômeur qui occupe une miette d’emploi change de « catégorie » : il sort de la catégorie A la plus commentée (voir article sur le chômage). Ce qui (avec d’autres tours de passe-passe, radiations, contrats « aidés » et autres cellules de reclassement) permet au gouvernement de dire que le chômage stagne. Contrairement à ce que les médias voudraient imposer comme idéologie : les privés d’emploi acceptent donc de travailler y compris pour de très courtes durées, quelquefois pour presque rien ! Exemple : les femmes en milieu rural qui pour travailler doivent payer une nourrice et des frais d’essence (à condition d’avoir une deuxième voiture).
Les offres en intérim qui permettent à beaucoup de jeunes d’ouvrir des droits pour pouvoir subsister sont en chute libre et c’est ce moment que les patrons choisissent, à l’ouverture des négociations sur la nouvelle convention assurance chômage, pour réclamer 8 mois de travail au lieu de 4 pour toucher des allocations (4 mois de travail = 4 mois d’allocations actuellement). Ils réclament aussi bien sûr, le retour de la dégressivité des allocations.
Triés et contrôlés
Radiations et menaces de radiations vont bon train. Les prestations bidons (apprendre pour la énième fois à faire « le » CV qui retiendra l’attention du recruteur, savoir se « vendre », « 5 minutes pour convaincre »…) qui engraissent les centres de formation privés, sont obligatoires sous peine de radiation si le « conseiller » a décidé que vous deviez y aller.
Les chômeurs sont « triés » en 3 groupes : renforcés, guidés, suivis. Les « renforcés » (« le fond du panier » – dixit une responsable d’agence – sont convoqués de manière intensive pour les fliquer et parfois les envoyer dans des « chantiers d’insertion » qui n’ont jamais « inséré » personne mais sont de véritables chantiers (défrichage de chemins de randonnée, maçonnerie, travaux agricoles pour remplir des paniers « bio »…). Les « guidés » sont convoqués un peu moins souvent mais doivent rendre des comptes. Enfin, les « suivis » sont « autonomes » mais la direction générale réfléchit à un moyen de contrôler les connexions sur internet pour voir s’ils cherchent vraiment.
En expérimentation également, des « conseillers » qui ne font que du contrôle ! C’est peut-être ces expérimentations qui ont conduit à ce que des privés d’emploi ont reçu des lettres leur réclamant des sommes importantes (1 300 €, 5 000 €) sous prétexte qu’ils auraient touché des allocations tout en travaillant. Dans certains cas, c’était tout simplement une « erreur » de Pôle emploi et dans tous les cas, la procédure n’a pas été respectée. En effet, si un indu de plus de 700 € est réclamé, l’usager doit être convoqué pour qu’on lui explique d’où vient cet indu et la possibilité de mettre en place un échéancier. Non seulement ça n’a pas été fait mais certains privés d’emploi ont dû revenir trois fois dans leur Pôle emploi (après avoir téléphoné, envoyé des mails et écrit au médiateur) pour être enfin reçus et qu’on se penche sur leur situation. Dans certains cas, les ponctions sont intervenues sur les allocations malgré un recours engagé pour prouver qu’il y avait une « erreur ». De toute évidence et contrairement à ce que déclare M.Bassères, Pôle emploi a déjà oublié le suicide de Djamel Chaab (2) !
Les privés d’emploi ont aussi à subir des méthodes de plus en plus infantilisantes et indignes . MRS : recrutement par « simulation » où on leur demande de mettre des carrés dans des ronds comme à la maternelle ! Job dating organisés dans les locaux du service public de l’emploi pour « séduire » des patrons auxquels ils ont déjà envoyé des CV restés sans réponses ! EMT (évaluations en milieu de travail, véritable travail dissimulé)…
Toutes ces méthodes et contraintes créent un malaise parmi les conseillers de Pôle emploi et certains les combattent au quotidien, avec quelquefois le soutien timide d’organisations syndicales « engluées »dans le paritarisme !
Fabienne Le Jeannic
1 – Numéro de téléphone unique pour contacter Pôle emploi (et très difficile à joindre).
2 – Chômeur qui s’est immolé mercredi 13 février 2013 devant une agence Pôle emploi de Nantes.
Contre l’insécurité sociale : l’urgence sociale
Le chômage est un des facteurs essentiel de l’insécurité sociale qui traverse l’ensemble de la société et conduit certainEs à se tourner vers l’extrême droite. Les résistances, les luttes contre les suppressions d’emploi, les fermetures de sites sont nombreuses, parfois même mis en Une des médias. Mais le résultat des ces mobilisations est souvent décevant, les victoires provisoires. Ces reculs pèsent sur l’ensemble des luttes notamment dans les entreprises. Et le patronat, largement aidé par les décisions gouvernementales, s’appuie sur ce rapport de forces dégradé pour imposer toujours de nouveaux reculs notamment dans le cadre de la loi sur la sauvegarde de la compétitivité.
Pour des mobilisations gagnantes la principale difficulté réside dans l’isolement. Isolement géographique, isolement dans le temps, isolement dans les statuts. Et la (re)construction d’un mouvement des chômeurEs n’est pas la moindre des difficultés.
Contre toute politique de division nous n’opposons pas les différentes formes que peuvent prendre les mobilisations. Ceux de Doux, Goodyear, Fralib, Ford, Petroplus, M-Real, La Redoute, Alcatel, Fagor, PSA et bien d’autres, ont tenté, tentent encore de s’opposer aux politiques patronales de liquidation de l’emploi avec leurs stratégies respectives. L’écueil essentiel reste l’incapacité à mettre en commun ces mobilisations. Et de mettre en commun des perspectives de luttes, des mots d’ordre qui permettent cette unification.
L’interdiction des licenciements, de tous les licenciements est au cœur de ces perspectives. Sa concrétisation passera par des mobilisations qui permettront de dépasser les divergences sur les déclinaisons concrètes de ce mot d’ordre. Une telle mesure passe par des dispositions s’opposant à la liberté d’entreprendre, à la dictature patronale. L’ouverture des livres de comptes, la généralisation du CDI sont indissociables dans une telle bataille.
La deuxième grande revendication qui doit lui être associée est la réduction massive du temps de travail (sans baisse de salaire) lié à un combat sans merci contre la pénibilité du travail : suppression du travail de nuit, de week-end, posté, baisse des cadences, respect de la santé et de la sécurité dans le travail.
Plus qu’un catalogue de mots d’ordre, il s’agit d’une bataille politique d’ampleur, loin du dialogue social ou des exigences de changement de cap. Et d’une urgence sociale et politique.
Robert Pelletier