«Transformation » et non « réforme » : tel est le terme choisi par le gouvernement, et c’est en effet un changement profond. Rappelons que, contrairement aux conventions assurance chômage précédentes, « négociées » par les « partenaires sociaux » et ensuite agréées (ou pas) par le gouvernement, la convention 2019 a été imposée par décret. La récente décision du Conseil d’État, qui a invalidé plusieurs aspects de la « transformation » suite à un recours porté par la CGC, la CGT, FO et Solidaires, a bien sûr une portée importante. Pour autant elle ne concerne pas tous les aspects de la convention et les règles de l’assurance chômage restent définies par l’État et non par les salariéEs (avec ou sans emploi) et leurs organisations.
Après les 800 millions d’économies suite à la convention 2017, ce sont encore 3,6 milliards d’euros d’économies qui vont être faites, dont 80 % seront réalisées sur le dos des chômeurEs.
Les dernières projections de l’Unedic chiffraient le montant de la baisse des allocations à 1 milliard en 2021, dont 1/3 lié à la modification du calcul du SJR (salaire journalier de référence) et 2,6 milliards en 2022 dont 50 % liés à la modification du calcul du SJR.
Ce qui est annulé par le Conseil d’État
– La révision des règles de calcul du SJR permettant de déterminer le montant des indemnités chômage
Au lieu d’être calculé à partir des jours travaillés, le SJR le serait sur l’ensemble de la période de référence. Un exemple cité dans la presse au lendemain des annonces : pour quelqu’un qui aurait travaillé deux semaines dans le mois, cela aboutirait à une diminution de moitié de son allocation.
Dans sa décision, le Conseil d’État écrit que ce nouveau mode de calcul « porte atteinte au principe d’égalité ». En effet : la somme des salaires perçus sur 24 mois étant divisée par le nombre de jours compris entre le premier et le dernier jour d’emploi de cette période, et ce à durée de travail équivalente, le résultat variait considérablement selon qu’on avait travaillé au début, au milieu ou à la fin de cette période. Ce sont 840 000 personnes qui auraient été pénalisées. avec une baisse de revenus comprise entre 689 et 902 euros, soit 24 % en moyenne.
Les gouvernements successifs n’ont cessé d’encourager les contrats courts car « mieux vaut un contrat court que rien du tout » ; le discours actuel consiste à stigmatiser les chômeurEs qui profiteraient du système en « optimisant » les règles de cumul activité-allocation.
Ceci dit le gouvernement avait surement anticipé la décision et réfléchi à une adaptation sur ce point : il pourrait être instauré un « SJR plancher », de manière à ce que la baisse ne soit pas trop forte. L’idée serait d’exclure les jours d’intercontrat du calcul. Mais même dans ces conditions la baisse serait significative. Les « adaptations » sont censées être présentées d’ici mars 2021.
– Bonus-malus
C’était aussi une promesse du candidat Macron : appliquer un « bonus-malus » aux entreprises abusant des contrats courts pour les « responsabiliser » et ainsi « lutter contre la précarité ». Ce sujet brûlant – rejeté par le patronat – avait entre autres conduit à l’échec des négociations de la future convention d’assurance chômage.
Seuls sept secteurs (sur 38) devaient être concernés à compter du 1er janvier 2020. Le bâtiment et le médico-social ont été exonérés de ce léger dispositif. La modulation des cotisations sera faible puisque ces dernières varieront entre 3 % et 5 % (soit + 0,95 % au maximum pour les entreprises pénalisées). Ces variations seront calculées selon le nombre de salariéEs s’inscrivant à Pôle emploi ramené à l’effectif total d’une entreprise.
Avec cette mesure de majoration, le gouvernement n’a rien inventé puisqu’en 2014 les CDD avaient été soumis à ce genre de mesure. Pour quel résultat ? Les embauches en CDD — y compris ceux inférieurs à un mois — avaient continué à augmenter et les CDI étaient restés stables.
Ce qui est maintenu
– Des conditions d’affiliation durcies
Avec la convention précédente, il fallait justifier d’une activité salariée de quatre mois au cours des 28 derniers mois (pour les moins de 53 ans). Avec la convention de novembre 2019, la durée nécessaire passait à six mois de travail sur les 24 derniers mois, soit un jour travaillé sur quatre au lieu de un sur sept depuis 2009. Concrètement, le droit pourra être ouvert au même moment mais avec une durée moins longue ou l’ouverture retardée plus ou moins d’un an selon les situations.
Covid oblige, cette règle qui devait s’appliquer en avril 2020 puis septembre 2020 a été reportée à janvier 2021 mais n’est pas abrogée. Seul « aménagement » : la période de référence est portée à 27 mois au lieu de 24 pendant la crise sanitaire.
– Des droits rechargeables vidés de leur contenu
Créés en 2014, ce principe permet à des chômeurEs indemnisés, qui reprennent une activité durant leur période de chômage, de prolonger leurs droits lorsque ces derniers sont épuisés et ce, sous réserve qu’ils et elles justifient de 150 heures travaillées.
Le seuil minimum de rechargement a été ramené à six mois, au lieu d’un mois aujourd’hui, permettant 610 millions d’euros d’économies sur le dos des chômeurEs en 2021 et 1 milliard en 2022. De fait les droits rechargeables n’existent plus puisque la durée de travail revient à celle permettant d’ouvrir des droits.
– Dégressivité : le retour
Le choix est fait de réintroduire le principe de dégressivité pour les 10 % de salariéEs les mieux payés (salaire de plus de 4 500 euros bruts mensuels). Ces derniers (hormis pour les plus de 57 ans) se verront appliquer une dégressivité de 30 % au bout du septième mois de chômage. L’allocation perçue ne pourra cependant pas être inférieure à 2 261 euros nets par mois.
Pour justifier cette mesure, le ministère du Travail s’appuie sur une série de chiffres : plus le revenu de remplacement est élevé, plus la période de chômage serait longue. Pour autant, il ne dit pas que 76 % des allocataires touchant les indemnités maximales ont plus de 50 ans. Il oublie également que ce public dit « senior » rencontre des difficultés particulières à retrouver un emploi du fait de son âge. Quant au principe même de la dégressivité, rappelons qu’il avait été mis en œuvre entre 1992 et 1996 et qu’une étude de l’Insee de 2001 avait conclu que sa mise en place avait « ralenti le retour à l’emploi ». De même, un récent travail de l’OFCE fin 2017 a souligné que cette mesure était tout sauf efficace. Mais le gouvernement s’entête. La course aux économies là encore, même pour ne rapporter « que » 60 millions. Mais l’essentiel est ailleurs : remettre l’idée de la dégressivité dans le paysage et laisser à penser qu’elle pourrait ensuite s’appliquer à touTEs.
La censure partielle est donc une victoire mais ne constitue qu’un premier pas insuffisant. C’est l’ensemble de la « réforme » qu’il faut retirer.