Publié le Mercredi 25 novembre 2020 à 11h24.

La classe ouvrière est loin d’avoir disparu

Il ne fait pas de doute que l’évolution de l’économie a percuté la structure sociale qui n’est plus celle du temps de Marx, ou même de Mai 68. Mais d’abord, les ouvriers n’ont pas disparu : selon les données de l’INSEE, ils constituent (en 2019) 19,6 % des gens en emploi (ce pourcentage serait plus élevé si on tenait compte des chômeurEs). Leur nombre a certes diminué mais, à côté d’eux, les métiers classés dans la catégorie « employés » représentent 26,8 % des personnes en emploi. Il s’agit pour les ¾ de femmes : 41,7 % des femmes en emploi sont « employées » alors que les ouvriers sont plutôt des hommes (30,5 %).

Condition ouvrière

Plus de 46 % des personnes en emploi sont donc ouvrierEs ou employéEs. OuvrierEs et employéEs ont des conditions de rémunération similaires avec un salaire net mensuel moyen pour les temps complets de l’ordre de 1 600 euros pour les deux catégories (si l’on prend en compte les temps partiels, les revenus mensuels des employéEs sont assez nettement inférieurs à ceux des ouvrierEs). Une bonne partie des employéEs sont soumis dans leur travail à des contraintes analogues à celles des ouvrierEs (tâches répétitives, contraintes de rythme). Ainsi 43 % des ouvriers et 31 % des employéEs déclarent subir une surveillance hiérarchique permanente. Deux tiers des ouvrierEs déclarent que leur travail est répétitif, soit cinq fois plus que les cadres supérieurs. Les ouvrierEs « non qualifiés » sont celles et ceux qui subissent le plus ces conditions de travail (78 %). Plus de la moitié des employéEs (55 %) décrivent la même situation. En particulier, 60 % des employéEs de commerce et de ceux qui travaillent au service des particuliers déclarent que leur travail est répétitif. OuvrierEs et employéEs se trouvent aussi dans des situations peu éloignées du point de vue de l’habitat (avec dans les métropoles des domiciles souvent éloignés des lieux de travail), des difficultés d’insertion professionnelle au début de la vie active, ou de l’accès de leurs enfants aux études supérieures, etc.

« Professions intermédiaires » ?

Au sein de chacune des catégories, il y a bien sûr de grandes diversités : dans l’industrie, l’ouvrierE qualifié en CDI est différent de l’intérimaire, dans les services, la situation de la caissière à temps partiel est loin de celle de l’employéE de banque. Mais cette hétérogénéité n’est pas nouvelle : à l’époque de Marx, l’ouvrier typographe avait déjà une position différente de celle du journalier du bâtiment ou de la femme employée dans les blanchisseries industrielles.

Pour comprendre ce qu’est le prolétariat moderne, il faut aussi inclure les métiers regroupés dans les « professions intermédiaires », 25,6 % des personnes en emploi avec une majorité de femmes. Ce sont des métiers divers qui vont des infirmières aux professeurEs du primaire en passant notamment par les technicienEs des entreprises. Si elles et ils conservent des conditions de rémunération plus favorables que les ouvrierEs et employéEs, les salariéEs des professions intermédiaires ont fréquemment subi un processus de « déclassement » dans leurs conditions de travail (les tâches à accomplir étant de plus en plus divisées), leurs salaires (qui stagnent), voire aussi dans leurs conditions de vie quotidienne. Près de 30 % des salariéEs des professions intermédiaires déclarent subir un contrôle hiérarchique permanent.

Au total, ceux que les journalistes qualifient parfois de « catégories populaires » astreintes à un travail subordonné constituent la grande majorité des personnes en emploi.

Prolétariat élargi

Compte tenu des évolutions des processus productifs et des conditions de travail et de rémunération, le prolétariat moderne doit donc être élargi à l’essentiel des employéEs et à une partie des professions intermédiaires, voire à certainEs salariéEs classés parmi les cadres. Ces catégories ne sont pas toujours productrices de plus-value (technicienEs et ingénieurEs le sont) mais, comme l’expliquait Marx à propos des salariéEs du secteur commercial, ce type de salariéE « rapporte au capitaliste, non parce qu’il crée directement de la plus-value, mais parce qu’il contribue à diminuer les frais de réalisation de la plus-value, en accomplissant du travail en partie non payé ». Il est à remarquer qu’Engels utilise l’expression « prolétariat commercial » à ­propos des salariéEs du commerce.

Ce prolétariat élargi ne constitue pas une espèce en voie de disparition dont les tenants d’une transformation de la société pourraient se désintéresser. Sans leur travail, la machine à profit ne pourrait fonctionner. S’ils et elles ne se mettent pas en mouvement, tout ­changement de la société est impossible.