Entretien. Cheville ouvrière de la Compagnie Jolie Môme, Loïc Canitrot est à ce titre un des organisateur du Cabaret d’urgence qui s’est déroulé à la Cartoucherie de Vincennes dimanche 16 octobre. Il est aussi mis en examen suite à l’occupation du siège du Medef mardi 7 juin. Son procès aura lieu le jeudi 8 décembre.
Quel bilan tires-tu du succès du Cabaret d’urgence ?
Ce Cabaret d’urgence fut un moment impressionnant, émouvant et probablement pertinent.
Impressionnant, par l’affluence incroyable : 1 200 à 1 500 personnes sont venues au théâtre de l’Épée de Bois au cours de cette journée. Les spectateurs se relayaient pour permettre au plus grand nombre d’assister, ne serait-ce qu’à une des parties de cette folle journée d’interventions artistiques et politiques mises en scène par la Compagnie Jolie Môme.
Émouvant, car tout le monde a répondu présent : 40 compagnies, groupes ou personnalités du mouvement social se sont déplacés pour intervenir 5 minutes chacun. Des dizaines de « brigadistes », amis ou proches de la Compagnie Jolie Môme sont venus aider à l’organisation. Tant de gens mobilisés, avec qui nous avons tant de choses à partager, mais qui, hors des grèves et des luttes, affichent souvent leurs différences politiques, culturelles... C’est une des grandes forces, et un des grands plaisirs, de Jolie Môme que de les réunir dans un tel moment.
Pertinent, car aborder aujourd’hui la répression des militants, la relier au contexte d’état d’urgence et donc aux pressions et répressions qui touchent les migrants, les Roms, les habitants des quartiers populaires, bref, les plus fragiles et les plus exposés de notre classe, cela s’est retrouvé souvent au fil des témoignages et des analyses proposés.
Et rappeler que le Medef, comme symbole et arme du grand patronat, est à la source de nos problèmes, est d’autant plus nécessaire que le climat médiatique et politique voudrait nous en divertir, au profit d’histoires identitaires. Ce n’est donc pas un hasard si nombre de prises de paroles se concluaient par des appels à la lutte, à l’unité et à la combativité, plutôt qu’à la plainte face à l’injustice.
Pour revenir sur l’origine du Cabaret, peux-tu nous rappeler les temps forts du mouvement des intermittents au printemps ?
En avril, en quelques semaines de mobilisation, les travailleurs du spectacle indemnisés par intermittence parviennent à réunir des assemblées de plus d’un millier de personnes à Paris, occupent dix théâtres nationaux dans toute la France, dont le symbolique théâtre de l’Odéon, puis la Comédie-Française. La négociation sur notre assurance chômage entre syndicats et organismes patronaux au sein de notre secteur tourne à notre avantage grâce à ce rapport de forces. L’accord prévoit que nous retrouvions des conditions d’admissions à Pôle Emploi perdues depuis 2003, un fonds de rattrapage pour celles et ceux qui ont des baisses d’activité, une reconnaissance de nos spécificités professionnelles en cas de congés maternité et d’arrêts maladie... Bref, c’est une victoire incomplète par rapport aux propositions que nous avons élaborées en treize années de lutte, mais c’est une avancée énorme pour les plus précaires d’entre nous.
Après cela, les confédérations CFDT et CFTC et surtout le Medef se sont opposés à cet accord, mais n’arrivent pas à trouver entre eux un accord sur l’assurance chômage en général. Le gouvernement déjà confronté à la forte mobilisation contre la loi travail, la mobilisation des cheminots, les Nuits debout... ne voulait pas prendre le risque d’une grève sur les festivals d’été. Il a donc validé notre accord quelques jours après l’occupation du Medef.
Quels étaient les enjeux de l’occupation du Medef ? Comment t’es-tu retrouvé en garde à vue et convoqué au TGI de Paris en décembre ?
À l’intérieur du Medef, nous étions une centaine d’intermittents et d’opposants à la loi travail, arrivés déterminés et dans le calme, convaincus d’être au bon endroit alors que devaient arriver Pierre Gattaz et Geoffroy Roux de Bézieux pour une réunion « publique » sur la fiscalité.
Dans cette ambiance bon enfant, un homme en cravate s’est distingué en insultant, provoquant, arrachant le téléphone portable des mains d’une jeune femme qui immortalisait sa piètre intervention... Mais nous n’avons évidemment pas cédé à la provocation. Plus tard, un étage plus haut, le même s’en est pris à un manifestant, je me suis pacifiquement interposé, appelant au calme... et j’ai reçu en retour un coup de pied. Je suis tombé, lui s’est réfugié dans son bureau et a porté plainte pour violence !
À partir de là, par la seule logique du processus de garde à vue, système infantilisant, humiliant et même avilissant qui a duré 44 heures, de victime je vais devenir suspect puis présumé coupable aux yeux des policiers et du procureur. Je suis donc convoqué au tribunal de Paris ce jeudi 8 décembre, accusé de violence en réunion... Purement imaginaire, alors que le directeur de la sécurité du Medef, qui lui m’a réellement frappé et le reconnaît, n’est toujours pas inquiété.
Quatre démarches auprès de commissariats ne m’ont pas permis de faire enregistrer ma plainte, il m’a donc fallu saisir le procureur de la République. L’instruction contre moi a été bouclée en 48 heures... Celle contre lui n’est toujours pas entamée quatre mois après les faits ! Évidemment nous n’avons jamais eu accès aux bandes de vidéosurveillance du Medef qui m’auraient pourtant immédiatement innocenté.
Dans le fond, je ne crains pas grand- chose car j’ai de nombreux témoins, mais nous avons ici un bel exemple de « traitement de classe » d’une affaire policière et judiciaire, exemple qui nous permet de mobiliser pour l’amnistie de tous les militantEs du mouvement social, et bien sûr de demander toujours plus fort la séparation du Medef et de l’État !
Propos recueillis par Cathy Billard