Entretien. Secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, Laurence Blisson tire avec nous un premier bilan de la politique carcérale du quinquennat Hollande et revient sur les polémiques récentes autour de la justice.
Aujourd’hui vendredi 4 novembre, nous sommes devant l’Assemblée nationale. Qu’es-tu venue y faire avec des représentantEs d’autres organisations comme l’Observatoire international des prisons ?
On est venu déposer un chèque symbolique de 1,5 milliard d’euros qui illustre la fuite en avant dans la construction de nouvelles prisons actée dans le budget par Jean-Jacques Urvoas, le garde des Sceaux, et Manuel Valls. C’est la suite d’une première action que l’on avait faite quand Urvoas avait fait une conférence de presse à Fleury-Mérogis. De notre côté, nous avions fait une contre-conférence de presse depuis un centre d’hébergement pour la réinsertion sociale, pour montrer l’indigence de la politique de réinsertion sociale. Quand on met de l’argent pour construire des prisons, on n’en met pas pour aider les personnes en sortie de prison à trouver un boulot, un logement, et de façon générale dans le service public social.
Aujourd’hui va donc être voté ce budget par une majorité socialiste complètement convertie à la construction carcérale et qui prétend le faire pour lutter contre la surpopulation alors même toutes les études montrent que plus on construit des prisons, plus on les remplit...
Cette majorité a été incapable de repenser le rapport à la justice pénale. Le terme de dépénalisation est complètement tabou, que l’on parle des stupéfiants ou des incivilités créées sous l’ère Sarkozy... Il y a un refus de penser la peine en dehors de la prison. Ainsi les centres de placement extérieur auxquels on consacre 9,5 millions d’euros... contre 1,5 milliard pour la construction de nouvelles prisons ! Ce sont pourtant des dispositifs essentiels pour prendre en charge la réinsertion.
De façon plus globale, quelle est ton appréciation de la politique carcérale du quinquennat Hollande qui touche à sa fin ?
C’est un bilan désastreux. Ce gouvernement a poursuivi la politique de construction. De plus, quand l’OIP [observatoire international des prisons] a fait des recours sur l’état des prisons, le gouvernement a systématiquement tenu devant le Conseil d’État des positions insoutenables. Il a réintroduit les fouilles systématiques, qui avait été pourtant interdite en 2009. Il a certes voté en 2014 la loi Taubira portant la possibilité de réaménagement de peine, mais récemment il a encore durci les possibilités d’aménagement de peine pour les personnes coupables de terrorisme. Il a permis la vidéo-surveillance permanente de certains détenus en détention provisoire. Concrètement, pour ce gouvernement, la prison reste au cœur de la justice pénale.
Au tout début de ce quinquennat, on se disait : qu’est-ce qu’ils attendent pour tout remettre à plat, pour revenir sur les dispositifs sécuritaires mis en place sous Sarkozy. Il y a bien eu la conférence de consensus en février 2013, dont l’objectif affiché était de marginaliser l’enfermement, ce que nous soutenions. Mais, en parallèle, une série de lois sont allées toujours plus loin en matière de sécuritaire : contrôle d’identité, pouvoirs de la police dans les enquêtes, pouvoirs des services de renseignements... Ainsi, même quand la loi Taubira (dans laquelle il y avait des avancées réelles comme la suppression des peines planchers) est votée, l’argumentaire politique qui sous-tend ces avancées reste imprégné de la logique sécuritaire et son champ lexical (répondre à un prétendu « laxisme », introduire une « culture du contrôle »).
Une disposition, passée assez inaperçue à l’époque, confiait aux policiers un rôle très important dans le suivi des personnes sortant de prison. C’est le nœud de ce qui se passe aujourd’hui : les policiers seraient les plus légitimes à déterminer ce qui est bon en matière pénale parce qu’ils seraient au contact direct de la délinquance... En fait ils concentrent toujours leur attention sur une certaine délinquance, celle sur la voie publique, mais pas celle que l’on trouve dans des cadres plus feutrés, la délinquance en col blanc par exemple, qui a pourtant des conséquences sociales et économiques importantes.
Et la philosophie de la dangerosité s’est enracinée : ce gouvernement n’a même pas remis en cause la rétention de sûreté...
Hollande qui dénonce la « lâcheté » des juges, tu en penses quoi ?
Constitutionnellement, le président de la République est le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. C’est un problème en terme de séparation des pouvoirs, mais c’est l’état de notre droit. Ces propos sont donc inacceptables. Ils illustrent d’abord une forme de corporatisme des milieux politiques qui estiment devoir être à l’abri de toutes investigations judiciaires, considérant par exemple que le traitement fait à Nicolas Sarkozy est par principe illégitime. C’est aussi une forme de populisme, une sorte d’appel à la détestation de la justice. La justice ne doit pas être à l’abri de la critique, et nous ne nous en privons pas, mais ici ce sont des propos de comptoirs, des diatribes sans intérêt...
Dans l’actuel mouvement des policiers, parmi les différents propos revient souvent une critique du prétendu laxisme de la justice, du sentiment d’impunité des délinquants, etc. Une réaction ?
Quiconque est déjà allé dans un tribunal, dans une audience de comparution immédiate, ne peut que sourire, si cela n’était pas à pleurer, face à ce prétendu constat. Il y a de plus en plus de détenus, les peines s’allongent, plus de 10 000 personnes exécutent en ce moment une peine de moins de six mois d’emprisonnement, 97 % d’entre elles sortent en « sortie sèche », en fin de peine, sans aménagement. De plus, chaque année, il y a 15 000 condamnations pour outrage et rébellion. Pour comparer, il y en a 13 500 pour toutes les infractions économiques et financières réunies... Donc ce « laxisme » n’existe pas.
En fait le mouvement des policiers veut nous enfermer dans un débat sur la fermeté de la justice. Or le problème de la justice n’est pas celui-là, c’est de réfléchir à qu’est-ce que l’on veut pénaliser dans la société et comment. Il faut repenser le traitement pénal. Aujourd’hui on envoie en prison des jeunes de quartiers marginalisés, sans perspective, sans résoudre aucune des problématiques auxquelles ils sont confrontés. En cinq ans, on n’a pas du tout avancé sur ces questions.
Propos recueillis par Manu Bichindaritz