Fin juin et début juillet, sur fond de campagne électorale, se sont tenues les manifestations en mémoire de Nahel Merzouk, 17 ans, assassiné par la police en 2023, et Adama Traoré, 23 ans, assassiné par la gendarmerie en 2016.
Ces deux marches de soutien aux familles et en mémoire des victimes n’ont pas été des moments de mobilisation importants. Plusieurs centaines de personnes, alors que dans les deux affaires les assassins ne sont toujours pas devant la justice – probablement jamais dans le cas de Adama malgré les mobilisations et la ténacité de la famille. Par ailleurs, le meurtrier de Nahel est toujours millionnaire, la justice ayant tranché en sa faveur et pour la légalité de sa cagnotte.
La dynamique de la campagne électorale et du développement massif du vote RN pose pourtant la question de l’importance des quartiers populaires dans la lutte contre les violences policières, le racisme et l’extrême droite. Lors des révoltes urbaines de 2023, l’une des mesures en région parisienne a été de bloquer tous les transports en commun le soir dans la banlieue de Paris, obligeant des milliers de personnes rentrant du travail à trouver des solutions. Cette punition collective est à l’image de ce que la classe dirigeante développe comme mépris : plus de « prise d’otages » comme lorsqu’il s’agit d’une grève mais le rappel permanent de la condition de subalterne qui leur est accolée.
Ce qui fait que les personnes racisées habitant les quartiers populaires sont bien conscientes de la dangerosité du RN. Tous les dispositifs de contrôle – utilisation de la BAC, amendes administratives, surarmement policier mais aussi la ségrégation spatiale (désert médical, sous-investissement chronique dans les services publics et les infrastructures), sans compter les discriminations à l’embauche, à l’accès aux études, au logement, etc. – seront décuplées sous un régime RN. Ce n’est donc pas un hasard si, sur tous les derniers scrutins, les électeurs des QP ont voté de manière massive pour la gauche et notamment pour la LFI mais également pour faire « barrage » à l’arrivée du RN au pouvoir comme en 2022.
Les quartiers populaires sont la première cible de l’extrême droite et aussi des violences policières. Les liens entre la police et le RN sont importants. Les études de 2021 montrent que 50 % des membres des forces de l’ordre sont des électeurs RN et 70 % si on ne compte que la part active (sur le terrain). Il est très probable que ces chiffres soient plus hauts à l’heure actuelle. Ce soutien est même plus oralisé qu’auparavant. En février, la compagnie CRS 6 décore Bardella d’une médaille. Interpellé pour un tag anti-RN, un gardé à vue raconte comment tout le commissariat fait la promotion du RN : « ici tout le monde vote Bardella ». Un haut gradé de l’institution confiait à Mediapart qu’il craignait que ses « hommes se lâchent » devant les forts résultats électoraux du RN. Ces expressions se sont multipliées pendant la campagne.
Il est clair qu’il n’est pas nécessaire que le RN soit au pouvoir pour que la police soit en roue libre dans les quartiers mais encore plus d’impunité, plus de harcèlement et plus de violences sont à craindre lorsque celui-ci a maintenant 150 députés et que ses discours racistes dominent.
Les mouvements de solidarité contre les violences policières racistes sont un pas pour mobiliser — les révoltes urbaines également – mais il faut développer un mouvement politique et antiraciste plus large et spécifiquement contre le RN. L’exemple de la mise en avant de son caractère raciste dans l’entre-deux tours a permis qu’il soit sur la défensive.
Il y a le potentiel pour développer la solidarité plus largement en incluant les familles des victimes mais aussi en englobant les questions antiracistes plus larges que la vérité et la justice pour les victimes. Dans la lignée de la colère contre l’assassinat de George Floyd en 2020, un début de riposte antiraciste (menée par le collectif Adama) a commencé à voir le jour. L’an dernier à la suite de la mort de Nahel une riposte timide mais unitaire incluant des syndicats a aussi donné lieu à des mobilisations autour de la date du 23 septembre. Enfin le mouvement de soutien au peuple palestinien contre son génocide a fait émerger une génération de militant·es qui fait largement écho et puise sa source dans le parallèle avec le racisme et le traitement des populations racisées ici et les palestien·nes là-bas. Le potentiel est là, il ne reste qu’à prendre ses responsabilités politiques.