« Ouvrons, occupons ! » : avec ces mots s’est poursuivi à Marseille le mouvement d’occupation des théâtres initié à Paris dès le 5 mars dans les théâtres nationaux de l’Odéon et de la Colline, qui a rapidement pris, à Strasbourg au TNS, puis à Pau, puis partout.
Le vendredi 12 mars, à l’issue d’un rassemblement devant le théâtre du ZEF, scène nationale des quartiers Nord — à quelques centaines de mètres de « l’Après-M », lieu social et solidaire fondé après des mois de luttes par les salariés en grève du McDo de Saint-Barthélemy —, un collectif composé d’intermittentEs et d’étudiantEs, artistes et technicienEs du spectacle vivant, en accord avec la direction du théâtre, occupait le théâtre. Depuis, nuit et jour, le théâtre vit à l’heure des AG et des actions menées par ce collectif, chaque jour plus nombreux, rejoint par des intermittentEs de la région, renforcé également par la présence de jeunes précaires, de salariéEs en lutte, de syndicats du spectacle et d’ailleurs.
Retrait de la contre-réforme de l’assurance chômage
L’enjeu ? Il n’est pas seulement culturel. Bien sûr, la réouverture des théâtres est discutée : elle n’est cependant pas la première des revendications. Mise en avant comme mère des batailles, c’est la question du retrait de la contre-réforme de l’assurance chômage que le gouvernement, en dépit du bon sens et de l’intérêt des travailleurEs, veut imposer dès le 1er juillet, et qui remettrait en cause le droit du travail actuel, et fragiliserait profondément les déjà plus fragiles. La violence de l’attaque n’a pas laissé sans voix les intermittentEs qui savent depuis longtemps que toute remise en cause de l’assurance chômage porte gravement atteinte aux droits de touTEs. La lutte des salariéEs de la culture, ces dernières années, a rendu vigilant les acteurEs du spectacle vivant contre ces différents coups de boutoir qui vise à affaiblir jusqu’à détruire le régime général de la sécurité sociale conquis de haute lutte.
L’occupation des théâtres s’inscrit donc dans un mouvement qui excède largement le monde de la culture, tout en en tenant compte. Car par le prisme de la culture se posent, depuis plusieurs semaines, bien des enjeux qui pourraient concerner tout le monde. Il n’est ainsi pas question de réclamer, immédiatement et sans condition, la réouverture des lieux : une telle réouverture profiterait aux plus grandes structures et aux compagnies déjà grassement accompagnées. La fermeture des théâtres a ouvert une période de réflexion dense chez beaucoup qui ne se satisferont pas d’un retour au monde d’avant, qui serait surtout un retour à l’anormale, celui d’une situation profondément inégalitaire soumise au règne libéral de la concurrence entre touTEs, sous l’œil plus mal que bienveillant des tutelles qui ont renoncé à soutenir les compagnies au plus grand profit de quelques-uns, Centres dramatiques et autre nantis de la Culture.
Occupons les lieux parce qu’ils sont à nous
« Ce n’est pas la Culture qui est en danger, ce sont les travailleurs de la culture » pouvait-on entendre lors des AG du ZEF qui rassemblaient intermittents, précaires, étudiants, salariés en lutte, et des Gilets jaunes.
Repenser les équilibres entre les artistes et les structures ; réinventer ces métiers en exigeant en urgence la reconduction de l’année blanche sans laquelle des milliers d’artistes et de technicienEs se retrouveraient dans la misère et en obtenant le recul des heures de déclenchement du régime de l’intermittence ; questionner le calcul des droits sociaux en luttant pour l’étendre à touTEs…
Ce sont ces idées qui sont débattues actuellement dans les théâtres, outil de travail qui n’échappe que trop aux mains des travailleurEs de la culture et dont la lutte actuelle démontre qu’il appartient à ceux-là seuls qui la font.
Lundi 15 mars, des étudiantEs de l’École supérieure d’Acteurs de Cannes et de Marseille, avec des élèves des conservatoires de la région et du CFA des métiers du théâtre, occupaient la Criée après de longs et difficiles échanges avec la direction. Finalement, le soir, ils et elles dormaient dans ce Centre dramatique national, et rédigeaient un texte. Il témoigne que la lutte en cours vaut pour touTEs, elle est celle contre la précarité et le chômage, pour le droit de reprendre possession de nos lieux, et de décider pour nous-mêmes de nos vies.
Ouvrons, occupons : ouvrons la lutte, occupons les lieux parce qu’ils sont à nous.
Multiplions les prises de ces lieux : aujourd’hui, le Merlan, lundi le Théâtre National de Marseille, et demain ?