L'impérialisme US incapable de tenir son rang
Le 5 août 2011, l’agence de notation Standard & Poor’s rétrogradait la note souveraine des USA. L’agence précisait même, qu’elle pourrait aller plus loin dans la rétrogradation dans les dix-huit mois.
Aux yeux du monde entier, cette rétrogradation signifie que la stabilité financière de la puissance dominante de la planète est désormais sujette à caution. Il est vrai qu’il faudrait être particulièrement naïf pour croire que l’impérialisme US, endetté jusqu’à l’os, sera en mesure d’assumer les dettes accumulées depuis 30 ans. D'ores et déjà, son endettement (au sens de Maastricht) est supérieur à 100% de son PIB, alors que la politique «de soutien à l’activité» (quantitative easing) menée actuellement par la FED (la Banque Centrale américaine) ne peut aboutir qu’à un creusement considérable de ces déficits.
La décision de S&P's signifie qu'aux yeux du capital financier, les bons du Trésor américains, valeur refuge traditionnelle, ne sauraient plus être considérés «as good as gold» (aussi sûrs que l’or). Or c'est justement cette sécurité qui a assuré la prééminence du $ depuis l'après-guerre et lui ont permis de jouir du statut de monnaie de réserve, avec les avantages que confère ce statut.
La rétrogradation de la note souveraine des USA sanctionne donc l’incapacité du pays de continuer à assumer son rôle de pivot du système capitaliste international. L'architecture des relations internationales telle qu'elle fut mise en place en 1945 et confirmée en 1991 (chute de l'URSS) est en cause.
Dans ce contexte, les conditions auxquelles l'impérialisme US finance son déficit vont devenir plus dures. La Chine vient d'ailleurs d'annoncer son intention de diversifier ses placements en devises, tout en revendiquant de Washington qu'il prenne des mesures d'une toute autre ampleur pour contenir les déficits US.
Tout le problème est qu’aucune puissance, et certainement pas la Chine, n’est en mesure de remplacer l’impérialisme US. En particulier, c'est toujours le marché intérieur américain qui tire la production mondiale – celui de la Chine demeure bien trop limité.
Dans ces conditions, une période de convulsions politiques et économiques majeures est au-devant de nous.
Crise de l'€ et de l'Union Européenne
En Europe, la situation est évidemment marquée par la crise du système mis en place à Maastricht (1992) – soit disant pour «renforcer les économies des pays membres de l'UE et en assurer la convergence» (préambule du Traité de Maastricht).
En fait de convergence, le fait est que les économies de la zone ont divergé depuis les années 2000. Au Nord, l'impérialisme allemand et les puissances sous son influence ont pu tirer leur épingle du jeu. Il y a de nombreuses raisons expliquant ce fait, dont l'offensive anti-ouvrière menée depuis la réunification du pays. L’Allemagne, est un pays où explosent les inégalités, où la flexibilisation du travail a progressé spectaculairement (les «mini-jobs»). Elle n'est un exemple que pour les capitalistes.
En Grèce ou au Portugal, les bourgeoisies locales se sont avérées incapable d'assurer le développement du pays. Après avoir vécu d'expédients, elles ont ruiné leurs pays respectifs en les endettant jusqu'au point de non retour. Parallèlement, la politique de l'€ fort combinée à celle de libre-échange orchestrée par l'UE et la BCE ont abouti à la désindustrialisation de ces pays.
En Espagne, le scénario diffère. C'est avant tout la constitution d'une gigantesque bulle immobilière qui a permis le maintien de l'activité durant la dernière décennie. Mais désormais, la bulle a éclaté, la production s'est effondrée et dans ce pays, un travailleur sur cinq est sans emploi.
Au lieu de la convergence, de la coordination économique promise à Maastricht, on assiste à l'inverse à une dislocation rampante de la zone €. Le sort de cette monnaie elle-même est désormais en question.
En toile de fond de ces désastres, il y a l'incapacité des bourgeoisies d'Europe à se coordonner, à mettre en œuvre une politique économique unifiée, assurant le développement coordonné de tous les pays de la zone – bref un gouvernement économique européen.
L'UE a fort peu uni l'Europe. Notons d'ailleurs que ce sont Sarkozy et Merkel qui sont à la manœuvre, pas la commission européenne. Le rôle de l'UE a pourtant été décisif dans la mise en place de politiques de recul social dans chaque pays. Ainsi, Trichet (BCE) n'a pas hésité à dicter littéralement à Berlusconi le plan anti-ouvrier qui a plongé toute l'Italie dans la stupeur, tant sa violence est grande.
Merkel et Sarkozy devraient annoncer bientôt des mesures en faveur de la «gouvernance économique» au sein de l'UE. Il ne s’agira pas de construire une cohérence économique, mais que l'impulsion donnée aux politiques de remise en cause des acquis sociaux soit encore accentuée.
L'avenir des peuples d'Europe que leur promet l'UE est celui du recul social et de la remise en cause de tous les acquis – d'où notre hostilité face à la pseudo-Europe libérale. On ne peut d'ailleurs imaginer qu'un gouvernement des travailleurs puisse prendre une autre décision que celle de la rupture avec l'UE, la Banque Centrale Européenne, etc. Au contraire du gouvernement grec, il ne devrait pas céder un pouce de la maitrise de sa politique économique aux rapaces de Bruxelles!
Précisons d'ailleurs à toutes fins utiles que se prononcer contre l'UE ne revient pas à prôner le moindre repli chauvin. L'indispensable unité européenne, ce sont les travailleurs qui s'en chargeront! Les États-Unis d'Europe ne seront que socialistes, car c’est la coopération entre les travailleurs et les peuples, sur les plans économiques, mais aussi sur les plans écologiques, culturels… qui peut permettre de construire une société égalitaire!
La pire crise capitaliste depuis les années 30
Le 4 août s'est donc déclenché le krach boursier. A cette occasion, des milliers de milliards de $ ont disparu des livres de compte des principales banques (PIB français: 2 000 milliards approximativement), des diverses institutions du Capital financier. Et pour fictifs que soient ces capitaux, quelqu’un devra bien solder ces pertes.
Ce sont les «inquiétudes» des spéculateurs et du capital financier concernant la capacité de divers pays d’Europe (Italie, Espagne...), des USA, à rembourser leur Dette qui ont déclenché le krach. Il est effectivement évident que ces pays ne pourront rembourser en l'état.
Mais derrière ces inquiétudes, il y avait l’arrivée prévue d’une nouvelle récession de l'économie capitaliste.
Aux États-Unis, des sommes colossales avaient été débloquées suite au déclenchement de la crise de 2007. L'activité artificielle ainsi créée a permis de retarder les échéances. Mais ces expédients s'avèrent jusqu'ici incapables de relancer la production privée. Le tableau n'est pas meilleur en Europe – ainsi la France est entrée en quasi-récession au second trimestre. Les chiffres de l'Allemagne sont à peine meilleurs.
Tout ceci n'est pas séparable de la baisse de la compétitivitédes économies américaines et européennes face à celles des pays dits émergents. Fondamentalement, cette perte de compétitivité résulte des taux d'exploitation record qui ont cours dans ces pays. La mondialisation capitaliste, c’est aussi la mise en concurrence de classes ouvrières aux acquis extrêmement divers – en clair l’alignement social vers le bas.
En tout cas, désormais, le capital est face à la contradiction suivante. Résorber, ne serait-ce que partiellement les déficits reviendrait à brider la consommation et/ou l'investissement. Le risque est fort qu'une telle politique aboutisse à plonger le monde dans la récession. D'où les contradictions qui s'expriment aux sommets des gouvernements bourgeois.
Dans ces conditions, moins que jamais, on ne peut tolérer les activités des spéculateurs divers, en particulier des banquiers, qui tirent leurs profits des coups portés au plus grand nombre. On sait que nombre de banques ne doivent leur survie qu'à cause des subventions publiques massives dont elles ont bénéficié en 2007-2009, donc la conversion massive de dettes privées en dette publique. Encore récemment, le plan «d'aide» à la Grèce prévoit la recapitalisation de ces établissements. C'est donc le monde du Travail qui par ses impôts permet la poursuite d'activités qui prennent en otage toute la société !
Il n'est pas tolérable qu'une poignée de capitalistes prennent l'ensemble de la société en otage, ainsi que ce fut le cas début août. Le mot d'ordre de nationalisation des grandes banques et établissements de crédit reprend toute son actualité, ainsi que celui du contrôle des travailleurs sur les opérations bancaires et financières, face aux diverses magouilles occultes du Capital financier.
La Dette publique n'est pas légitime
Il n’y a pas de mystère: la Dette publique explose en raison des politiques néo-libérales suivies par les principaux pays depuis 30 ans, ainsi que l'ont montré de nombreux économistes. C’est le prix à payer pour la survie d’un système à bout de souffle, le capitalisme.
Partout, la pression fiscale sur le Capital, les privilégiés, a été drastiquement réduite à partir des années 80. Divers mécanismes ont été mis en place pour permettre au Capital financier de s'assurer des profits toujours plus juteux. En conséquence, dans la plupart des pays, les États ont mené des politiques de remise en cause des acquis concédés auparavant d’une part, se sont endettés de l’autre. Et à qui ces États ont-ils emprunté? Aux mêmes en faveur desquels on avait baissé les impôts. Coup double pour les capitalistes!
Actuellement, les sommes allouées au remboursement de ces dettes indues sont énormes. En France, cette année, 50 milliards iront ainsi dans les poches des capitalistes – quasiment autant que le budget de l'Enseignement public! Plus que jamais, il est indispensable d'avancer le mot d'ordre du Non paiement de la Dette Publique. Rappelons que ce mot d'ordre de mobilisation, d'action, a fait l'unanimité lors du I° congrès du NPA.
A ce propos, on ne peut que constater que les dirigeants du PS se prononcent unanimement pour «la rigueur» et le remboursement de cette Dette rubis sur l'ongle. Une fois de plus s'illustre l'abîme qui nous sépare des sociaux-libéraux.
D'autres à gauche, principalement parmi les «antilibéraux», préconisent d'exiger un «moratoire» de cette Dette, suivi d'un «audit public» censé fournir des arguments pour trier ce qui sera légitime et ce qui ne le serait pas, annuler ce qui ne le serait pas et renégocier – donc rembourser – ce qui le serait.
Mais discuter du montant de la Dette, de ce qui est vraiment dû et de ce qui ne l'est pas, c'est déjà reconnaitre une légitimité au moins partielle à la Dette. C'est pourquoi nous ne pouvons que combattre une telle approche.
En fait, le mot d’ordre de «moratoire» est une nouvelle application de la méthode classique des dirigeants syndicaux et réformistes. On se souvient que lors de la contre-réforme des retraites, ceux-ci refusaient de se joindre à nous sur le mot d'ordre de retrait du projet Woerth et se limitaient à exiger des «négociations» censées aboutir à «une bonne réforme». Ceci ne pouvait qu'aboutir à rendre les choses moins claires, à dissoudre les revendications et ouvrir des possibilités de compromis avec les classes dirigeantes, voire d'association des organisations ouvrières à la politique anti-sociale1.
A l'opposé de tout ceci, notre politique doit être sans ambigüité: cette dette n’est pas la nôtre, elle n’est pas celle des travailleurs et des couches populaires. Nous n’en sommes en aucun cas responsables et nous refusons de la payer.
France: Sarkozy à la manœuvre
Pour la France, l'accélération de la crise a permis au gouvernement d'accentuer l'offensive anti-sociale.
Ainsi fait-il campagne pour l'adoption d'une «règle d'or»: l'Assemblée aurait obligation de voter un budget en équilibre. Mais ces déficits sont avant tout le résultat d'une politique de cadeaux fiscaux envers les privilégiés qui s'accentue année après année! Dans ces conditions, comme il n'est pas question de revenir sur ces cadeaux, la règle d'or n'aboutirait qu'à faciliter encore la mise en œuvre de politiques antisociales et anti-ouvrières.
Mais désormais, une nouvelle offensive est annoncée. La stagnation économique en cours risque en effet d'aboutir à un déficit public plus important qu'annoncé initialement. Le déficit de 4,6% pour 2012, puis de 3% pour 2013 promis par Sarkozy aux capitalistes sera impossible à tenir alors que la croissance économique est faible (moins de 2% prévus pour 2011). Comme il n'est évidemment pas question pour l'UMP de revenir sur sa politique anti-sociale, la seule possibilité est d'accentuer la politique de rigueur.
S'appuyant sur tout ceci, une campagne soigneusement dramatisée est menée autour du risque de voir la note souveraine française rétrogradée, donc de la nécessité de «restaurer la confiance» (des spéculateurs).
Sarkozy a donc réuni son équipe et annoncera un nouveau plan de rigueur fin août. 10 milliards de plus devraient être trouvés, principalement sur le dos des travailleurs.
Les grandes orientations qui s'esquissent sont celles qu'on pouvait attendre. Le cœur de ce nouveau plan consisterait à limiter les dépenses – autrement dit de s'en prendre aux dépenses publiques. Le pire est donc à craindre en ce qui concerne l'Enseignement public, la Sécurité Sociale, etc. Au-delà, il est déjà prévu d'augmenter les impôts qui frappent avant tout les classes populaires (TVA, CSG) une fois les élections passées.
Dans ces conditions la préparation et le vote du budget 2012 auront valeur de test. Il nous revient de tout faire pour permettre une réelle mobilisation contre le budget qui s'annonce - en particulier, multiplier les initiatives pour que les organisations syndicales s'opposent à la politique de rigueur, donc refusent d'accorder toute légitimité au remboursement de la Dette publique.
Une politique de défense ouvrière et populaire
Face à la nouvelle offensive qui s'annonce, il nous revient d'expliquer que ce n'est pas aux travailleurs de payer une crise qui de la responsabilité des seuls capitalistes. Dans ce contexte, les revendications suivantes nous semblent décisives (sans prétendre à l'exhaustivité):
- Face à l'offensive contre les revenus qui s'annonce, il faut exiger :
- le SMIC à 1600 €, 300 € en plus pour tous
- l'indexation des salaires sur les prix (échelle mobile des salaires) face à l'inflation qui menace.
- Contre le chômage généré par la crise capitaliste, la revendication d'interdiction des licenciements garde toute son importance, ainsi qu’une réduction du temps de travail sans baisse de salaire pour partager le travail.
- Contre la politique de destruction cynique des principaux services publics, des revendications telles que la défense du statut de fonctionnaire, de l'accès égalitaire à l'Enseignement et aux services publics essentiels, le rattrapage des suppressions de postes de ces 10 dernières années.
- En matière de protection sociale, l’abrogation des contre-réformes Woerth (retraites) et Fillon (Sécu).
- Enfin, avant que de nouvelles catastrophes ne surviennent, notre candidat sera celui de l'abandon du nucléaire, par un plan de réorientation énergétique.
Mais s'en tenir à ces revendications, aussi justes soient-elles, serait faire un super-syndicalisme fort peu crédible. Chacun sait que pas un acquis ne sera durablement préservé tant que subsisteront des gouvernements réactionnaires, fussent-ils «socialistes», qui se fixent pour objectif de gérer le capitalisme en crise. C'est un système qui est en cause, c'est à la logique capitaliste, qu'il faut s'en prendre. D'où la nécessité de mener une propagande pour un gouvernement des travailleurs, seule forme de pouvoir à même de remettre en cause les lois de l'économie de profit.
Vers des combats d'ampleur
La réactivation de la crise capitaliste a justifié partout une accentuation de la politique anti-ouvrière et des réactions indignées du monde du Travail – en Grèce, en Grande-Bretagne, en Espagne.... En Italie, on peut s'attendre à une forte contestation de la politique du gouvernement de Berlusconi dans les semaines à venir.
Nulle part cependant, les plans des gouvernements en place n'ont pu encore être mis en échec. A l'évidence, il a manqué partout une force refusant la logique capitaliste, donc déterminée à aller vers l'épreuve de force. Résultat, dans certains pays, les directions syndicales ont pu garder pour l'instant le contrôle du mouvement et tenter de le transformer en exutoire sans lendemain (Grande-Bretagne). Dans d'autres, ces directions ont été conspuées, voire débordées par des mouvements spontanés mais sans orientation précise (Espagne).
Le rôle des anticapitalistes, dans toute l'Europe, va donc être décisif. Seront-ils ou pas en mesure d'aider à la clarification des enjeux, d'orienter positivement le mouvement par leur activité? L'enjeu est essentiel.
Espérons que Ph. Poutou, le candidat du NPA, sera en mesure de défendre ces grandes orientations durant la campagne électorale qui s'annonce. C'est en ce sens qu'il pourra être le candidat des luttes, de la défense des acquis du monde du Travail menacées par le capitalisme.
Pascal Morsu, le 16 août 2011.
1Il n'est pas inutile de rappeler qu'un amendement fut soumis au I° congrès du NPA (début 2011) qui préconisait «un moratoire immédiat sur les remboursements et une évaluation publique sous contrôle démocratique, de cette dette pour définir les limites et conditions auxquelles des remboursements pourraient être consentis». Cet amendement fut rejeté par 108 voix contre 35...