Publié le Jeudi 21 avril 2022 à 19h00.

McKinsey, de l’université de Toulouse à l’Élysée

Depuis les accusations de la commission d’enquête du Sénat sur l’optimisation fiscale qu’opère McKinsey en France, les liens entre Macron, ses proches, l’appareil d’État en tant que tel et ce cabinet de conseil privé sont mis à jour.

Le malaise est d’autant plus lourd pour Macron à l’heure où son refus de débattre du bilan de son quinquennat aurait pu prendre fin avec cette affaire… Plus qu’un malaise c’est un scandale qui vient percuter jusqu’à l’enseignement supérieur, en particulier à Toulouse.

Un bref palmarès (capitaliste et antisocial) de McKinsey

La « crise des opiacés » aux USA qui a provoqué entre 1999 et 2018 un demi-million de décès par overdose est en grande partie due aux appétits d’un pan de l’industrie pharmaceutique qui a concentré à la hausse les dosages de ces produits... pour des questions de rentabilité. Ceci sur les conseils du célèbre cabinet qui a fini par payer 573 millions de dollars pour éviter à son tour des poursuites. Habile.

Alors qu’un tel scandale aux lourdes conséquences sociales et sanitaires aurait dû isoler, voire faire fermer boutique au cabinet, il trouve de nouveaux marchés. Plus précisément durant la crise du Covid-19 en France, le gouvernement Macron et ses hautes administrations ont fait appel au cabinet pour les éclairer dans leur gestion – calamiteuse – de ladite crise. Enfin, en bons clients, ces gens-là ont reçu un nouvel appel d’offre de la part de l’État, pour aider... l’État à faire un milliard d’euros de coupes budgétaires dans les finances publiques. Ou comment acheter les services du privé pour vendre et détruire les services publics bout après bout…

L’insertion de la logique patronale dans l’enseignement supérieur

En 2018, un an après l’élection de Macron, Éric Labaye est nommé président de Polytechnique par la ministre des Armées Florence Parly. Il avait fréquenté Emmanuel Macron en 2010 au sein de la « Commission Attali pour la libération de la croissance française ». C’est la première fois dans l’histoire de cette école d’ingénieurs qu’un membre du privé est à sa tête. À croire que personne au sein de l’appareil public n’aurait été en capacité de prendre cette fonction. Précision : Éric Labaye est alors l’un des principaux ­associés du cabinet McKinsey…

En 2020, le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc (proche de Macron et de Jean Castex), ainsi que Carole Delga, présidente de la région Occitanie, commandent un rapport « indépendant » pour relancer l’industrie toulousaine. Dans ce projet, rien de bien social. C’est au contraire un document teinté de vert et de regards « tournés vers le futur » qui vient appuyer les projets industriels les plus attendus par la classe dominante locale et nationale, comme l’avion vert, les véhicules électriques, la conquête spatiale et… le développement local de l’Otan qui va avec (comme c’est écrit sur le rapport). Et enfin : la fusion des universités toulousaines pour créer une « Université dérogatoire d’excellence ». Ce rapport est en particulier rédigé par le très libéral Jean Tirole, fameux « prix Nobel » d’économie de TSE (Toulouse School Economics) qui, outre son poste de professeur d’économie à la TSE, a également été son directeur puis président d’honneur jusqu’à récemment, où lui a succédé le président d’honneur de BNP Paribas. Emmanuel Macron a également commandé mi-2020 à Jean Tirole la corédaction d’un rapport qui fait office depuis de « feuille de route économique du président » et qui en de nombreux points oriente son programme pour sa réélection.

McKinsey, encore et toujours

S’il est important d’insister sur le personnage de Jean Tirole, ce n’est pas pour le personnage en tant que tel mais pour ses liens avec les dirigeants, pour le poids qu’il a sur leurs décisions et donc sur nos vies et pour souligner le fait que son idéologie n’est que la poursuite de ce qui s’est fait jusqu’à présent, sous une version actualisée à la période. Mais localement l’essentiel est ailleurs. Sur les derniers mois, la TSE – qui faisait partie de l’université Toulouse 1 Capitole – et qui suit globalement la ligne voulue par Tirole, a été à l’avant-garde du projet de fusion des universités (suggérée par ce dernier). Cependant, devant la lenteur de l’objectif attendu et surtout les réticences voire les refus des autres composantes de l’université, la TSE a demandé à la ministre de l’Enseignement supérieur de sortir de la tutelle de l’université afin de devenir un Grand établissement. Cela lui permet de tisser des liens plus intimes aves le privé et de déroger plus facilement aux mœurs (qui persistent encore en partie dans l’enseignement public), c’est-à-dire à la gratuité ou à des frais d’inscription « peu élevés ». Ce passage en force de la TSE avec l’aval du gouvernement pourrait être un précédent à la dislocation accélérée des universités et à une augmentation effrénée des frais d’inscription, excluant de fait la majorité des classes populaires de l’enseignement supérieur.

Enfin et pour terminer, le rapport du Sénat dénonçant les pratiques de McKinsey révèle que la TSE a collaboré comme sous-traitant du cabinet de conseil à l’époque où Éric Labaye, l’actuel président de Polytechnique, était président de McKinsey Global Institute. Bien sûr la nature de la collaboration n’est pas connue.