Publié par trois économistes académiques, "Pour une révolution fiscale" relève d’une démarche intéressante, mais demeure insuffisant dans ses analyses et propositions. Pour une révolution fiscale. Cet ouvrage, de Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, pose une question essentielle : qui paie quoi ? Pour y répondre, les auteurs ont dû contourner un obstacle majeur : les données fiscales réelles – indiquant ce que chaque individu déclare et paye – ne sont pas publiques. Ils ont donc établi 800 000 profils représentatifs des revenus et patrimoines des Français. Ensuite, ils ont appliqué les règles fiscales existantes afin de simuler les prélèvements, mais aussi les versements, effectués par les administrations. Bilan : « les travailleurs à bas salaire sont des contribuables lourdement imposés dans le système actuel, et en aucun cas des assistés ». L’ouvrage met ainsi en évidence le caractère anti-redistributif du système français. Il contient de nombreux chiffres instructifs. On y apprend par exemple que les 1 % les plus riches possèdent 24 % du patrimoine et paient un taux effectif d’impôt sur le revenu de moins de 20 %. Soucieux de ne pas réserver la question fiscale aux experts, les auteurs mettent aussi à disposition leur simulateur sur un site internet1 afin de donner à tous les moyens de concevoir leur propre réforme alternative. Cette démarche est rare chez les économistes, et les efforts de pédagogie visant à rendre accessible la comptabilité nationale et la fiscalité méritent d’être salués. Des analyses parfois contestablesGrâce à ce travail, il devient possible d’additionner les différents prélèvements obligatoires. On peut toutefois s’interroger sur le sens d’une telle addition. Affirmer que les cotisations sociales « prélèvent 25 % des revenus les plus bas » est un contresens. En effet, ces cotisations ajoutent au salaire net un salaire socialisé. Elles ne sont pas un prélèvement sur le salaire, mais un prélèvement sur la valeur ajoutée des entreprises (au même titre que le salaire net). Oublier que ce sont les patrons qui paient toutes les cotisations sociales conduit bien vite à dénoncer « le poids excessif des cotisations sociales pesant sur le travail ». Inclure les cotisations dans la rémunération des salariés n’est pas une spécificité française. Le système européen des comptes nationaux (SEC95) reconnaît que « la valeur des cotisations sociales supportées par les employeurs pour garantir le bénéfice de prestations sociales à leurs salariés doit être comptabilisée dans la rémunération des salariés ». L’ouvrage comporte d’autres explications contestables. Ainsi, le capital est considéré non comme un rapport social mais comme une simple épargne, une valeur « pour l’usage futur et non la consommation immédiate ». Ce n’est pourtant pas tout à fait la même chose d’avoir un livret A ou de posséder une entreprise dans laquelle travaillent des salariés. En reprenant ainsi les catégories de l’idéologie dominante, les auteurs en viennent vite à l’idée que « le capital est utile pour tous ». Des propositions disparatesDu côté des propositions, on trouve des pages efficaces concernant la suppression des niches fiscales et du bouclier fiscal, ainsi que de bonnes critiques des projets de la droite (« TVA sociale » et suppression de l’ISF). Mais la prime pour l’emploi et le RSA sont plébiscités comme permettant « d’améliorer les incitations au travail des titulaires de minima sociaux » ! Et concernant la fiscalisation de la protection sociale, les auteurs ne s’en cachent pas : « le chemin n’a été parcouru qu’à moitié » et il faudrait poursuivre dans cette direction. Les exonérations Fillon devraient être conservées, « elles permettent en effet de réduire fortement le coût du travail non qualifié ». Dès lors, il faudrait seulement en « atténuer les effets pervers ». Rappelons que lorsqu’un travailleur est malade, au chômage ou en retraite, ce doit être au patronat de le payer (via les cotisations sociales). Dire que les cotisations ne doivent pas financer le logement est une chose. Mais les auteurs jettent le bébé avec l’eau du bain. ConclusionSi l’ouvrage s’ouvre sur la notion « d’équité », pour le moins vague et ambiguë, il évolue parfois vers « l’exigence d’égalité » en se référant à 1789. Parce qu’il donne à voir les inégalités et contient quelques propositions de gauche, il s’est attiré les foudres des ultralibéraux de l’Ifrap mais aussi de dirigeants du Parti socialiste. François Hollande a récemment expliqué à l’un des auteurs (Thomas Piketty, ancien conseiller de la campagne de Ségolène Royal) qu’un taux de 60 % pour les revenus mensuels de 100 000 euros serait « confiscatoire ». Avec ces deux arguments qui laissent pantois : « on est sûr des effets de délocalisation » et « je préfère un impôt payé à un impôt fraudé ». Un tel renoncement doit-il vraiment surprendre ? L’origine du caractère régressif du système français provient du poids important de la TVA mais aussi du véritable sabotage auquel se sont livrés les gouvernements successifs contre des impôts comme l’IRPP2 et l’impôt sur les sociétés. Philippe Légé1. www.revolution-fiscale.fr2. Impôt sur le revenu des personnes physiques.