Plus que l’arrivée de l’été et la fin de l’année scolaire, pour les lycéenEs de terminale, le début du mois de juin marque le début d’une longue et douloureuse attente.
Le logiciel d’orientation post-bac Parcoursup, mis en place par le gouvernement en 2018, ressemble plus à un système de triage et de sélection qu’à un réel outil d’orientation au bénéfice des futurEs bachelierEs. En résumé : le système demande aux lycéenEs de formuler un certain nombre de projets d’orientation, sans classer ces derniers par ordre de préférence. Ensuite, les établissements d’enseignement supérieur doivent classer les dossiers et envoient une proposition d’acceptation à un certain nombre de futurEs bachelierEs dans la limite de leur capacité d’accueil. Ces dernierEs doivent, à leur tour, indiquer s’ils acceptent le vœu pour lequel ils ont été sélectionnés. Celles et ceux qui ne sont pas acceptés immédiatement sont relégués sur liste d’attente.
Un système opaque et chaotique
La sélection des futurEs bachelierEs est effectuée au sein des universités et les critères d’acceptation ne sont pas les mêmes en fonction des établissements. De plus l’algorithme de fonctionnement de Parcoursup est secret, et a valu au gouvernement de vives critiques à ce sujet de la part du défenseur des droits. On repassera pour l’égalité de traitement et la transparence !
Le fait que les lycéenEs doivent formuler de nombreux vœux sans les classer par ordre de préférence, combiné au manque de places dans les universités, va mener les jeunes à formuler le maximum de demandes (13 par lycéenE cette année, en augmentation par rapport à l’année précédente). Ainsi, les candidatEs avec les meilleurs dossiers prendront dans un premier temps une grosse dizaine de places, car ils et elles seront probablement acceptés sur tous leurs vœux. Pour peu que celles-ci et ceux-ci prennent un peu plus de temps pour valider leur choix final, ils et elles bloqueront alors une dizaine de places dans une dizaine d’autres formations qui ne seront pas attribuées à d’autres entretemps.
La preuve par l’exemple
Voici un exemple montrant l’absurdité du système : imaginons deux formations, une licence de langue à Lille et une licence de lettres à Paris. Anthony souhaite étudier les lettres à Paris mais, par sécurité, il a également fait un vœu pour étudier les langues à Lille. À la suite de la procédure de sélection Parcoursup, il se retrouve accepté à Lille (ce qui est un choix de secours) et en attente pour Paris (son premier choix). Khedija souhaite quant à elle étudier les langues à Lille, mais, par sécurité, elle a également fait un vœu pour étudier les lettres à Paris. À la suite de la procédure de sélection Parcoursup, elle se retrouve acceptée à Paris (ce qui est un choix de secours) et en attente pour Lille (son premier choix).
Le choix logique pour ces deux futurEs bachelierEs serait d’attendre avant d’accepter le choix qui leur est proposé jusqu’à que la situation se débloque. Cependant, la situation ne peut pas se débloquer car, Parcoursup n’intégrant pas de hiérarchisation des vœux, il est considéré que chacunE de nos deux lycéenEs a obtenu satisfaction. Dans le cas où il ne reste qu’une place dans chaque formation, ils seront donc structurellement bloqués jusqu’à que l’un d’entre eux craque et accepte son second vœu. Ce qui est ironique car une fois son second vœux accepté, son premier vœu se libérera mais ne lui sera plus accessible….
Craquer est le bon mot. Pour pouvoir préparer leur déménagement dans une nouvelle ville, les futurs bachelierEs, déjà en pleine préparation de l’examen du baccalauréat, lui-même générateur de stress, vont devoir se connecter tous les matins pour vérifier s’ils et elles ont été acceptés quelque part. On peut imaginer la situation mentale d’unE lycéenE de terminale à deux jours du bac qui a été forcé de voir pendant 30 jours qu’il n’a toujours aucune perspective pour son avenir…
Une offensive de la classe bourgeoise
Le système Parcoursup avantage structurellement les lycéenEs issus de milieux socialement favorisés. Ils et elles disposent d’un capital culturel plus élevé, leur ayant souvent permis d’avoir un meilleur soutien de la part de leur parents. Ils et elles jouissent également d’un capital financier plus grand, leur permettant d’avoir potentiellement eu accès à des cours particuliers en cas de difficultés dans une matière ou encore d’avoir multiplié les expériences extra-scolaires, les avantageant considérablement dans leurs candidatures par rapport aux enfants des classes populaires n’ayant pas eu cette chance.
Les établissements d’enseignement supérieur auront également tendance à privilégier des dossiers moyens issus de lycées prestigieux et bourgeois par rapport à des bons dossiers issus de lycées de milieux populaires, considérés comme étant de seconde zone.
Il peut être également importun de rappeler que certaines formations demandent des frais de dossier juste pour candidater, certaines dépassant les 150 euros, ce qui représente un budget considérable et parfois impossible pour les familles les plus précaires.
Cacher la misère de l’université française
Tout ce dispositif est en fait un cache-misère pour dissimuler le manque d’investissement de la part de l’État dans l’avenir des jeunes issus des classes populaires. Plutôt que de donner les moyens à l’université d’accueillir plus d’étudiantEs en recrutant plus et en ouvrant de nouveaux bâtiments, l’État préfère organiser une mise en concurrence des bachelierEs dans leur procédure d’affectation.
Cette compétition se fait à l’avantage des enfants de la bourgeoisie (déjà structurellement souvent avantagés par de meilleurs dossiers) qui peuvent réserver leur place dans des établissements chers et sélectifs par l’argent comme les écoles de commerces.
Cette logique crée une marchandisation de l’enseignement supérieur qui fait ainsi la part belle au privé qui capitalise sur la détresse des lycéens souhaitant accéder à une formation quoi qu’il en coute. Ainsi, des entreprises proposent à des tarifs très élevés des séances de tutorat pour réussir à tirer son épingle du jeu dans la conception de ses dossiers. Des formations privées et très chères font également leur communication autour du fait qu’elles sont « hors Parcoursup » sur des sites… supposés aider les lycéenEs sur Parcoursup justement.
Cette année nous aurons encore une fois un embouteillage géant dans Parcoursup qui laissera, comme les années précédentes, un nombre considérable de néo-bachelierEs sur le carreau ; faute de leur trouver une affectation répondant à leur demande ou même une affectation tout court !
Le problème de l’enseignement supérieur français n’est pas un problème d’affectation, mais un problème de financement. À nous de nous battre pour l’exiger !