Lundi 15 février, un élève du lycée Guillaume-Apollinaire de Thiais (Val-de-Marne) était agressé à coup de cutter pendant le cours de gym. Le 17 février, Virginia Rajkumar, prof de philo, nous expliquait l’état d’esprit des professeurs et leurs revendications. Comment avez-vous réagi après l’agression ?Dès le lendemain de l’agression, nous avons fait jouer notre droit de retrait à l’unanimité et les élèves nous ont soutenus. On a reçu immédiatement la visite du grand chef, l’inspecteur académique, Didier Jouault, qui s’est déplacé sur les lieux deux heures après l’agression. Il a fait une opération de com’, en allant déclarer à la presse qui était devant le bahut qu’on allait reprendre le travail normalement le mardi. En réalité, depuis, le mouvement est reconduit chaque jour par des assemblées générales. On y discute à deux niveaux : il y a beaucoup de problèmes locaux. Le phénomène d’insécurité existe mais dans un contexte local particulier qui est aggravé par l’attitude de notre proviseur. On avait besoin de parler des problèmes touchant à la vie scolaire, en plus des renforts humains que nous demandons. Nous avions fait des demandes de concertation avec la direction pour en parler. Et ce n’est pas un problème isolé, secondaire ou anecdotique. Nos problèmes de direction renvoient à une politique managériale nouvelle et qui consiste à gérer des bahuts publics sur le mode d’entreprises privées. Ce qui provoque de la souffrance au travail, des conditions dégradées, une division entre les personnels. La demande de moyens humains a permis de fédérer les collègues, de leur faire prendre conscience de la nécessité de concertation, de dialogue et d’une politique cohérente. En termes de moyens justement, quelle est la situation à Apollinaire ?Nous avons globalement le même ratio de surveillants qu’au lycée Adolphe-Chérioux de Vitry : onze surveillants à mi-temps pour 1 500 élèves, soit un pour 300 élèves quand il n’y a pas d’absents. Et les personnels ne peuvent être remplacés par la technologie. Ainsi, d’après la vice-présidente du conseil général pour les lycées, on serait un des lycées les plus sécurisés. On a des barrière à fermeture électronique, une caméra à l’entrée et au total, six caméras sur le bahut. Mais cela n’a pas empêché des dégradations la semaine avant l’agression, car ça n’a pas commencé lundi. Déjà la semaine dernière, les systèmes de fermeture des barrières avaient été abîmés. Sur quels mots d’ordre vous retrouvez-vous ?Ce qui est clair, c’est qu’il s’agit d’une lutte pour la sécurité, mais pas d’une lutte sécuritaire. Nous demandons des renforts humains formés. Car ce n’est pas seulement une question de quantité de surveillants mais aussi de ce qu’on leur permet de faire, c’est-à-dire du travail pédagogique. Ce qui permet de créer des liens avec les élèves. Alors évidemment, cela signifie qu’il faut un nombre conséquent de personnels, mais c’est le seul moyen de toucher plus d’élèves, de les connaître, de désamorcer des situations et de protéger les mômes si besoin est, car ils subissent la violence chez eux, socialement, économiquement... Chez les collègues, il y a une prise de conscience dans ce lycée qui est intéressant sociologiquement. Ce n’est pas un lycée réputé difficile, donc cela veut bien dire que cela peut arriver n’importe où. Or on a 42 % de classes sociales défavorisées chez les gamins. Les professeurs ne considérant pas qu’ils enseignent dans un lycée difficile n’ont pas les réflexes d’équipe, de solidarité qu’on peut avoir dans des bahuts difficiles. Le climat est parfois apolitique ce qui fait que les mobilisations ont du mal à prendre. Là, par le travail de discussion, le fait d’être tous ensemble en assemblées générales, c’est politiquement extrêmement intéressant. Les vacances arrivent, quelle va être selon toi la suite du mouvement ?On espère que les académies qui vont sortir des vacances vont reprendre le flambeau et il est possible que la mobilisation continue après les vacances, dans la mesure où se discute la question des enveloppes horaires attribuées à chaque établissement, et que rien n’est joué. À partir du moment où les professeurs refusent de se lancer dans la concurrence entre les disciplines1 ça va sacrément emmerder les directions et les différentes inspections, même si pour le moment, ils font comme si rien n’allait se passer. Je pense qu’il peut y avoir un mouvement qui peut partir dans l’éducation. Ce qui est bien avec l’éducation, c’est que c’est imprévisible, c’est comme les jeunes, c’est plein d’espoir !1. La réforme Chatel donne aux proviseurs un rôle accru concernant la répartition de certaines heures de cours entre les différentes disciplines. Voir Tout est à nous ! n°39 du 21 janvier 2010. Propos recueillis par Dominique Angelini