Publié le Vendredi 9 juin 2023 à 10h00.

Allemagne : sur l’état des luttes syndicales

Les taux d’inflation élevés en Allemagne depuis la mi-2022 ont donné plus d’importance aux négociations collectives par les syndicats. Le bilan est… très mitigé.

Lorsque les prix ont fortement augmenté à l’été 2022, le gouvernement a pris l’initiative d’inviter à une « action concertée » (conférence tripartite pour un accord entre gouvernement, patronat et syndicats).

Stratégie réussie du gouvernement et du capital…

L’objectif était d’éviter des conflits plus durs. Pour ce faire, le gouvernement a décidé de permettre au patronat de convenir avec les syndicats des accords en intégrant des « primes de compensation de l’inflation » pouvant aller jusqu’à 3 000 euros, sur lesquelles aucune cotisation sociale ni aucun impôt ne seraient prélevés. Les directions des syndicats ont approuvé ce modèle, même si elles savent bien entendu que cet argent n’est pas pris en compte dans les barèmes (les futures augmentations de salaire ne seront donc pas basées sur cet argent) et qu’il n’est pas pris en compte dans les primes de vacances, la prime de Noël, l’allocation parentale ou les versements à la caisse de retraite. Pourtant, dans toutes les conventions collectives conclues depuis l’automne dernier — c’est-à-dire pour environ sept millions de salariéEs à ce jour — les paiements uniques ont été intégrés dans les conventions collectives.

L’avantage pour le gouvernement et le capital est que ces 3 000 euros semblent extrêmement alléchants pour les salariéEs. Cela permet de « faire sortir la vapeur de la chaudière ».

… avec le soutien de la bureaucratie syndicale

Et c’est précisément cet effet que la bureaucratie syndicale a volontiers utilisé pour conclure des conventions collectives sans véritables grèves (donc uniquement avec des « grèves d’avertissement »). La bureaucratie syndicale poursuit depuis longtemps une ligne cohérente visant à éviter les conflits, et veut donc éviter les vraies grèves. C’est pourquoi elle a utilisé ces versements uniques pour embellir les accords et a passé sous silence les effets néfastes de ce « doux poison ».

Pourtant, les conditions étaient cette fois-ci plutôt bonnes pour en tirer davantage : compte tenu de la très forte augmentation des prix (entre 8 et 10 % pendant des mois), la mobilisation et la combativité étaient élevées en Allemagne. Le fait que les salaires réels aient déjà baissé en 2021 et 2022 et que les prix de l’alimentation (+ 22 %) et de l’énergie (+ 30 à 50 %) aient beaucoup plus augmenté a également joué un rôle, ce qui fait que les classes populaires sont bien plus touchées par l’inflation que ne le laisse supposer le taux d’inflation officiel. Outre le « doux poison », les conventions collectives présentent un autre défaut majeur : elles ont à nouveau été conclues pour de longues durées (la plupart du temps 24 mois ou plus).

Des pertes de salaires réels dans tous les secteurs

Les longues durées ont pour conséquence que — selon le secteur et le groupe de salariéEs — des pertes de salaire réel entre 4 et 7 % ont été convenues. Au fond, tout le monde le sait, mais la bureaucratie syndicale le nie ! De cette manière, elle veut dissimuler sa peur des conflits.

La cause n’en est pas simplement une « mauvaise ligne politique » de la bureaucratie, mais a de solides raisons matérielles et de pouvoir. En Allemagne, les membres des directions syndicales de la fédération DGB perçoivent des salaires élevés de 100 000 euros et plus (par an), et nombre d’entre eux siègent également au conseil de surveillance de l’entreprise contre laquelle il faudrait éventuellement faire grève (c’est le cas par exemple à la poste). Dans le secteur public, les sociaux-démocrates se trouvaient d’ailleurs des deux côtés de la table des négociations. De plus, lorsqu’une longue durée des conventions est convenue, les dirigeants syndicaux (en tant qu’appareil et a fortiori en tant que bureaucratie) ne sont pas stressés pendant deux ans.

Dans le secteur public, la ligne commune des deux côtés (patronat et direction syndicale) est redevenue très claire. Pour la fonction publique, il existe une « convention de conciliation » à laquelle chaque partie peut recourir. Si l’un des côtés fait appel à la « conciliation », toutes les grèves d’avertissement doivent cesser jusqu’à ce qu’une proposition soit faite par la commission de conciliation (ce qui prend normalement plusieurs semaines). Le syndicat aurait déjà pu mettre fin à ce contrat. Mais la bureaucratie ne veut pas le faire. Au fond, elle est tout à fait satisfaite que la dynamique de mobilisation, qui a été beaucoup plus forte cette année que les années précédentes, soit brisée par la conciliation. Après une phase de « refroidissement », il est naturellement très difficile de relancer la mobilisation, surtout s’il faut s’imposer contre l’appareil syndical. Il n’est donc pas surprenant que les membres aient récemment accepté l’accord tarifaire dans le secteur public. Ils ne voyaient aucune chance réaliste de poursuivre la lutte contre la volonté de l’appareil.

Il s’est pourtant passé quelque chose

Au cours des trente dernières années, l’Allemagne a connu une série de graves dégradations pour les salariéEs. De manière générale, la classe ouvrière est sur la défensive et, contrairement à la France, elle n’a pas l’habitude de mener des conflits plus durs et plus longs. Pourtant, les choses ont bougé.

Les grèves sont considérées comme quelque chose de « normal » (ce qui n’était pas le cas depuis longtemps). Même là où les gens ont été touchés dans leur quotidien par des grèves d’avertissement, ils ont majoritairement montré beaucoup de compréhension pour les grévistes.

On observe les premières ruptures dans l’acceptation de mauvais résultats de négociation (surtout à la poste, mais aussi dans le secteur public), même si cela n’a pas encore conduit à un rejet majoritaire d’un accord collectif.

Avec les taux d’inflation élevés des 12 derniers mois et la faiblesse des accords salariaux, pas mal de syndicalistes sont de plus en plus disposés à réfléchir à une lutte pour l’échelle mobile des salaires.