Dans leur tentative de rester au pouvoir, les généraux avaient mis fin par un coup d’État au gouvernement composé de militaires et civils qui dirigeait la transition depuis deux ans. Puis ils s’étaient résolus à libérer le Premier ministre Abdallah Hamdok et à le réinstaller à son poste sur la base d’un nouvel accord bien plus favorable aux intérêts des putschistes. Le but de la manœuvre était de mettre un vernis civil sur le gouvernement militaire. La démission de Hamdok est donc un nouveau coup dur pour la junte.
Les mobilisations populaires à travers le pays ont eu raison de ce stratagème. En rendant son tablier, Abdallah Hamdok clarifie la situation politique, y compris dans l’opposition. En effet, les débats qui ont surgi sur la nécessité ou non d’exiger le départ du Premier ministre ne sont plus de mise. Les mobilisations sont désormais dirigées contre les généraux et pour un pouvoir « madaniyya » c’est-à-dire totalement civil.
De la résistance à l’action politique
Les comités de résistance, présents dans l’ensemble des quartiers des villes du Soudan, avaient été écartés lors des négociations entre l’armée et les Forces pour la liberté et le changement (FLC). La plupart des comités étaient réservés sur l’accord du 17 août 2019 mettant en place la transition. Les réserves portaient d’abord sur le principe d’une alliance avec l’armée puis se sont étendues par la suite à la politique suivie par le gouvernement. Il a tourné le dos aux besoins des populations et s’est refusé à rendre justice aux victimes de la répression.
Désormais les comités de résistance s’investissent dans le champ politique. Le projet est d’élaborer une feuille de route pour le Soudan pour aller vers un « front populaire uni ». Le texte, qui devrait être rendu public très rapidement, est discuté actuellement par l’ensemble des comités de résistance. Les grands sujets économiques, sociaux, diplomatiques et le rôle et les réformes nécessaires de l’armée devraient être abordés. Ce texte remplit un vide laissé par la majorité des FLC suite à leur défaite. Un document qui sera soumis aux partis politiques et à la société civile comme les associations, les syndicats, les présidents d’universités, etc.
Depuis le coup d’État, la mobilisation ne faiblit pas malgré une répression de plus en plus violente. Près de soixante morts, des arrestations massives dans les quartiers y compris dans les hôpitaux. Désormais un nouveau seuil dans la répression semble être franchi avec des viols qui ont été constatés lors des interventions de la police dans les dernières manifestations. Cette mobilisation maintient la junte dans son isolement et permet l’émergence d’une réponse politique alternative. En parallèle, les comités de résistance consolident leur base populaire à travers la gestion courante des quartiers et l’organisation de la solidarité avec les personnes les plus pauvres.
Un enjeu géostratégique
Les dictatures de la région voient d’un mauvais œil ce qui se passe au Soudan. Le pays peut devenir le symbole de la résistance populaire et la preuve que les tyrans peuvent être renversés. Autrement dit, ranimer les braises du printemps arabe. Ainsi les pays comme l’Égypte ou les Émirats arabes unis ne ménagent pas leurs efforts pour soutenir leurs pairs. Quant à l’État d’Israël, il est inquiet de voir la junte en situation difficile. D’autant que l’accord de reconnaissance d’Israël signé par les généraux est loin de faire l’unanimité dans la rue. Les pays occidentaux, contre l’avis de la population soudanaise, continuent leurs médiations pour un retour au statu quo antérieur, c’est-à-dire à un partage de pouvoir entre civils et militaires. Les Russes pourraient être tentés de jouer leur propre partition en apportant une aide au pouvoir militaire. Rappelons que la diplomatie russe s’est refusée à condamner le coup d’État. Moscou est particulièrement intéressé à finaliser l’accord lui permettant l’implantation d’une base navale militaire à Port-Soudan. Ce lieu est stratégique pour la surveillance de la mer Rouge et est une porte d’entrée sur le continent africain. Ainsi le Kremlin pourrait renforcer sa coopération militaire via les mercenaires de Wagner déjà en charge de la formation des unités de l’armée soudanaise. La présence des Russes sur les territoires centrafricain et soudanais, frontaliers au Tchad, serait une bonne opération pour eux. En effet ce pays est la pièce maîtresse de l’intervention militaire française au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane.
C’est dire que les populations soudanaises ne peuvent compter que sur leurs propres forces et celles de la solidarité internationale encore bien trop faibles.