Publié le Vendredi 26 mai 2023 à 08h00.

Chili : le nouveau Conseil constitutionnel, un « laboratoire » pour l’extrême droite

Entretien. La scène politique chilienne a radicalement changé entre la révolte sociale d’octobre 2019, qui a conduit à l’ouverture d’un processus constituant sans précédent avec la participation des peuples indigènes et des mouvements sociaux, et une année 2023 où, suite aux élections constituantes du 7 mai 2023, l’extrême droite aura la mainmise sur le Conseil constitutionnel. Nous publions des extraits d’une interview du chercheur Arnaldo Delgado, du Centro de Investigación Transdisciplinar en Estéticas del Sur (CITES).

 

Comment expliquez-vous le retournement de ce cycle politique au Chili ?

Il y a un malaise social et un mécontentement qui se sont accrus au fil des ans. Derrière ce malaise, il y a une énorme crise de la représentation. Il ne s’agit pas seulement d’une méfiance à l’égard des représentants en place, mais aussi d’une manière d’habiter collectivement le monde. Nous cherchons à articuler une forme de représentation politique qui nous permette de dépasser ce malaise. Mais il y a un verbe central pour expliquer ce cycle : contester. Je crois que ce qui est transversal au cours de ces quatre années, c’est ce caractère contestataire, sur lequel la gauche a essayé de capitaliser à travers le processus constituant précédent, mais elle n’a pas réussi parce que les moyens de sortir de ce malaise étaient des promesses à très long terme.

De plus, lorsque Gabriel Boric est arrivé au gouvernement [en mars 2022], les partis de gauche se sont vidés. Tous les cadres sont allés travailler pour l’État et ceux qui ont mené bataille pour la destitution en 2019 commencent à s’intégrer au pouvoir. Boric est passé de challenger à challengé. Le sceptre de la destitution est lâché, et ce sceptre est repris par le Partido de la Gente [droite] et le Parti républicain [extrême droite].

Bref, il y a un cercle vicieux de la destitution. Il est lié à ce que j’appelle le pouvoir de destitution. Aujourd’hui, ce pouvoir de destitution s’est radicalisé parce qu’aucun secteur n’est capable d’avoir une proposition institutionnelle créative, capable de générer un nouvel ordre, pas même les Républicains.

Comment envisagez-vous la discussion au Conseil constitutionnel avec l’écrasante majorité des Républicains ? Quel rôle jouera la droite plus modérée ?

Il y a deux âmes au sein de la droite qui s’affrontent sur le type de refondation que le Chili aura dans les années à venir. Avant le 7 mai, l’une était menée par Chile Vamos et des secteurs de l’ex-Concertación [centre-gauche], et l’autre par le Parti républicain et le Partido de la Gente. Dans le premier cas, la refondation est une démocratie tutélaire avec un néolibéralisme « démocratique ». Dans le second cas de figure, il s’agit d’une restauration des années 1980, avec une orthodoxie néolibérale et un régime sécuritaire autoritaire. Dès dimanche, le caractère de la restauration a commencé à se dessiner avec le triomphe des Républicains.

L’enjeu de cette élection n’était pas tant la question constitutionnelle, déjà à moitié réglée, que de savoir si le Conseil constitutionnel allait être un espace temporaire pour tester le programme de gouvernement du Parti républicain. Avec cette victoire écrasante, le Conseil constitutionnel sera un laboratoire, un espace de tests pour l’idéologie républicaine en ce qui concerne les prochains candidats aux élections municipales, législatives et présidentielles.

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