Après le Non massif au référendum puis les pressions d’Obama et l’appel de Christine Lagarde à négocier rapidement, accompagnés de la complaisance de Tsipras offrant sa propre capitulation à ses créanciers, on aurait pu imaginer que l’Eurogroupe accepterait tel quel l’accord voté par le Parlement grec. Eh bien non !
Selon Jeroen Dijsselbloem, son président, « le principal problème est la confiance », et pour redonner confiance aux créanciers, il faut toujours plus d’austérité et la mise sous tutelle de la Grèce, une folle logique à l’œuvre...
La confiance perdue...
Le déchaînement des politiciens et journalistes contre Tsipras retourne contre lui l’affront qu’était à leurs yeux le référendum et sa volte-face pour en gommer le résultat : venir, la corde au cou, négocier aux conditions des usuriers. Une attitude qui illustre à quel point la négociation est un piège à partir du moment où la logique de la dette n’est pas contestée sur le fond. Là est le principal problème. Les usuriers ont besoin d’avoir confiance, d’être sûrs qu’ils toucheront les intérêts et si possible le principal.
Le problème n’est pas que grec, et là réside la deuxième faiblesse de Tsipras. Il négocie au nom d’une union nationale construite avec les partisans du Oui, contre le Non aux représentants du capital. Acceptant le cadre et la logique du capitalisme qu’il n’a jamais remis en cause, Tsipras espérait trouver un compromis avec ses créanciers afin d’obtenir moins de dette en échange de plus d’austérité. Mais les créanciers s’en moquent. Ils savent bien que cette dette qui représente 177 % du produit intérieur brut (PIB) est insoutenable. Mais ils veulent d’abord des garanties, concédant dans l’accord conclu un éventuel rééchelonnement sans autre précision !
Merkel sait qu’un nouvel allègement est tôt ou tard incontournable. Mais il n’est pas question d’en faire une contrepartie dans la négociation. Les créanciers de la Grèce veulent être en confiance, être sûrs d’encaisser la rente des intérêts. Pour eux, la dette est d’abord et avant tout un droit sur les richesses produites. Sauf qu’à faire trop pression pour leur donner confiance, la troïka étouffe... l’économie, entraînée dans la récession au risque de la faillite.
C’est pourquoi Obama plaidait pour un allègement et que Christine Lagarde lui avait pris le pas, déclarant qu’« une restructuration de la dette (…) est selon nous nécessaire dans le cas de la Grèce afin qu’elle ait une dette viable », un allègement de la dette constituant le second « pilier » du plan d’aide à la Grèce, au côté de la consolidation budgétaire et des réformes. Hollande se fait le relais de cette politique pour tenter de trouver une place dans les négociations. En vain, car, sur le fond, tous sont unis derrière les créanciers, avant tout pour obliger les travailleurs et les classes populaires à payer les intérêts à la place de la bourgeoisie grecque.
La leçon de chose grecque
Dans le même temps, les représentants du capital affichent leur propre contradiction. Pour les experts du FMI, il est évident que le plan des créanciers est intenable. Dans la suite des déclarations de Lagarde, ils l’écrivent dans un nouveau rapport, la dette grecque n’est viable à moyen terme que si les Européens apportent une nouvelle aide, rééchelonnent leurs créances et en annulent une partie. Et encore s’il y a une relance de l’économie !
C’est ce que disent les experts, mais ce n’est pas ce qui guide les avocats politiques des créanciers. Ces derniers ne connaissent que la logique du rapport de forces. Ils n’ont confiance que quand le débiteur est à terre, même si au final eux-mêmes peuvent y perdre.
Le coût social, économique, financier, politique, y compris pour la bourgeoisie, de la sortie de la Grèce de l’euro serait bien supérieur, même si personne ne peut le mesurer, à ce que leur coûterait l’allègement de la dette. Ils le savent, leurs experts le leur disent mais, aveugles, ils mènent une guerre de classe qui conduit, non seulement le peuple grec mais tous les peuples, à la catastrophe car toute leur économie repose sur un océan de dettes publiques mais aussi privées.
Contre eux, il n’y a pas de négociation possible, mais la lucide bataille politique pour construire un rapport de forces et d’abord expliquer que les illusions débouchent non pas sur une démoralisation, mais sur une conscience plus claire : il n’y a pas d’issue sans annulation de la dette et la mise hors d’état de nuire des banques et de la finance. La bataille est loin d’être finie...
Yvan Lemaitre