Après la défaite politique de Milei lors du débat législatif sur le retrait de la loi « omnibus » (voir l’Anticapitaliste n° 695 du 15 février 2024) a suivi une période d’isolement politique et d’affrontement avec les gouverneurs centristes et même alliés. Le gouvernement avait répondu au manque de soutien de ce secteur pour approuver la loi par une coupure de fonds très importante pour les provinces et avec des discours très agressifs (les gouverneurs étaient des traîtres, le parlement un nid de rats et tout opposant un voleur et un criminel).
Le 1er mars, avec son discours lors de l’ouverture des sessions ordinaires de l’Assemblée, Milei semble avoir corrigé le tir, au moins en ce qui concerne le rapport avec l’aile centre, c’est-à-dire avec le secteur appelé « l’opposition amicale ». Parce que, même en gardant un discours agressif voire violent, il a proposé une nouvelle négociation : un pacte, à signer fin mai, entre l’État national et les provinces. Ce pacte, bien qu’il soit fondé entièrement sur sa ligne politique ultra-libérale, impliquerait aussi un accord fiscal pour aider les provinces qui se trouvent au bord de la faillite après la coupure de fonds par le gouvernement. Cette raison pousse les gouverneurs à se dire ouverts et même favorables, même si Milei a mis comme condition l’approbation de la loi « omnibus ».
Financement des provinces vs loi « omnibus »
Seul le temps dira s’il s’agit d’un changement stratégique — plus dans le dialogue et la négociation avec des alliés circonstanciels, comme semble le demander une partie de l’entourage présidentiel — ou d’un changement purement tactique pour reprendre l’initiative politique et gagner du temps. On le verra dans l’évolution des négociations, car celles-ci ne semblent pas faciles à mener jusqu’au bout. D’un côté, une partie des gouverneurs et figures politiques centristes ne semblent pas prêtes à accepter le projet de loi s’il reste dans les mêmes termes qui les avaient poussées à s’y opposer. De même qu’accepter le pacte de mai dans les termes actuels pourrait leur faire perdre toute initiative politique et la position de force construite après le retrait de la loi. Il faudra donc voir si Milei accepte les contre-propositions qui, tout en étant moins radicales que les siennes, bénéficieront tout autant à la bourgeoisie argentine. Un élément central de la négociation sera l’impact réel du chantage du gouvernement sur les fonds destinés aux provinces. Le rejet de son mégadécret par le Sénat jeudi 14 mars (ce sont désormais les députés qui doivent décider du rejet ou de l’adoption définitive du décret) ne semble pas changer la donne. Les négociations restent ouvertes, le discours relativement modéré.
La base sociale des centristes peu encline à Milei
Un possible accord politique n’implique pas nécessairement que le gouvernement pourra avancer sans encombre. D’abord parce qu’une partie des classes moyennes est de plus en plus choquée par le « style présidentiel » : ses nombreuses attaques verbales, son utilisation de Twitter à la Trump (en twittant ou retwittant des messages discriminatoires et des insultes) choquent et même des journalistes de droite s’insurgent. De même, lors de ses discours, quand il met en cause le nombre de disparuEs lors de la dernière dictature, quand il parle d’« assassins au foulard vert » (en référence au foulard des féministes qui défendent le droit à l’IVG) ou même quand, le 8 mars, au moment où des dizaines de milliers de femmes manifestaient dans les rues du pays, il décide de rebaptiser le « Salon des femmes » du palais du gouvernement par le « Salon des héros de la nation » avec des portraits masculins. Ce secteur de la classe moyenne fait partie de la base sociale des centristes et peut pousser à des reconfigurations en cas d’un accord trop favorable au gouvernement.
Mais l’élément central sera la possibilité d’une explosion sociale. Face aux attaques constantes sur le pouvoir d’achat, à la pauvreté grimpante, aux licenciements et fermetures temporaires de quelques grandes entreprises, la patience d’un large secteur des travailleurEs peut arriver à sa fin. L’économie argentine est dans une crise si profonde que le gouvernement, même en gagnant du temps pour stabiliser les comptes, n’aura fait qu’augmenter la misère des travailleurEs et des retraitéEs, et donc d’une partie de sa base électorale.