On ne sait ce qui stupéfie le plus, la résistance héroïque des défenseurs – Kurdes et Syriens non kurdes – de Kobané, qui avec leurs armes légères parviennent à endiguer les assauts de jihadistes suréquipés, ou le cynisme des gouvernements occidentaux et de leurs alliés, au premier rang desquels l’État turc, membre de l’Otan et à ce titre premier partenaire des États-Unis dans la région.
L’émissaire spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, a alerté sur le risque d’un massacre de masse, en rappelant le sort de Srebrenica, la ville bosniaque dont des milliers d’habitants avaient été exécutés en juillet 1995. Mais à l’instar d’Arin Mirkan, la capitaine des Unités de protection des femmes qui s’est fait exploser au milieu de ceux qui tentaient de s’emparer d’elle, les combattants de Kobané ne rendront pas les armes.
Nettoyage ethnique et zone tamponDans le même temps, les images des chars turcs, massés immobiles à la frontière d’où ils contemplent les affrontements, évoquent inévitablement celles de leurs homologues russes, arrêtés sur les bords de la Vistule durant l’insurrection de Varsovie, à l’été 1944.Non seulement l’armée turque n’intervient pas, mais elle bloque l’accès des renforts kurdes et l’approvisionnement de Kobané en armes et en munitions. Le gouvernement Erdogan ne veut pas que s’installent durablement à sa porte des zones kurdes s’administrant elles-mêmes hors de tout contrôle. C’est pourquoi il a vu l’assaut de Daesh comme un don de la providence et considère son éventuelle prise de contrôle de la ville comme un moindre mal. Il serait toujours temps, après, d’utiliser des forces militaires largement supérieures à celles des djihadistes pour réoccuper un territoire vidé de ses combattants et populations kurdes.Tel est le seul sens de la demande, formulée par Ankara, visant à la mise en place d’une « zone tampon » au nord de la Syrie. Et qui, croyez-vous, a immédiatement appuyé cette revendication ? François Hollande lui-même, bien sûr. Même si, selon les services de la présidence française, Erdogan et Hollande auraient au même moment – lors de leur entretien téléphonique du 8 octobre – « rappelé leur soutien à l’action menée par les combattants engagés dans la lutte contre Daesh »… L’hypocrisie atteint ici de nouveaux sommets !Il en va d’ailleurs de même du gouvernement étatsunien, qui procède à quelques « frappes » aériennes isolées, sans doute pour qu’on ne puisse lui reprocher une totale inaction, mais sans du tout mettre en œuvre les moyens qui lui avaient permis, fin septembre, de stopper l’avancée de Daesh en Irak. Tout cela s’apparente en fait à un grand jeu de rôles – avec les populations kurdes et syriennes en victimes expiatoires.
Soutenir la lutte, pas une politique particulièreLes témoignages sur l’administration des trois cantons à majorité kurde du nord de la Syrie et, dans ce cadre, sur le rôle qu’y joue le PYD (Parti de l’union démocratique, la branche syrienne du PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan), sont pour le moins contrastés. Selon certains, on assisterait dans ces régions à une expérience autogestionnaire novatrice, baptisée confédéralisme démocratique ou municipalisme libertaire. D’autres, sans nier une série d’avancées, en particulier dans le domaine de l’émancipation des femmes, signalent que les méthodes autoritaires et musclées du PYD, y compris à l’égard d’autres formations de la gauche kurde et syrienne, n’ont nullement disparu.Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas ici de soutenir la politique d’un parti mais un combat, qui est juste sur tous les plans. Il faut se placer au côté de la résistance kurde comme nous avons été nombreux, encore une fois cet été, à le faire au côté de la résistance palestinienne – indépendamment de la nature et des orientations des directions politiques, PKK ou Hamas ou autre.Les représentants du PKK et du PYD, plus généralement ceux des communautés kurdes, ont ces derniers jours multiplié les appels aux gouvernements occidentaux afin que ceux-ci leur livrent des armes (lance-rockets antichars, artillerie) qui leur permettraient de se défendre plus efficacement, et aussi qu’ils intensifient les bombardements sur les colonnes et installations de Daesh. Pour notre part, tout en reconnaissant bien sûr le droit des Kurdes, comme des révolutionnaires syriens, de se procurer des armes où et comment ils le peuvent, il ne nous semble pas que l’on doive attendre de grands résultats de ces appels. Si Obama, Hollande et Cameron ne l’ont pas fait jusqu’à présent (sauf au profit du gouvernement autonome du Kurdistan d’Irak, mais celui-ci est de leurs proches amis), pourquoi changeraient-ils maintenant ?Reste la voie de la solidarité internationale directe des travailleurs et des peuples. Au mouvement ouvrier et démocratique, à ses organisations de prendre maintenant leurs responsabilités.
Jean-Philippe Divès