La question ukrainienne a été – aux dires mêmes de LFI – le désaccord majeur qui l’a opposée au NPA dans le contexte de la campagne pour les élections européennes. En vérité, c’est le profil de la gauche européenne face à l’UE qu’il s’agit de débattre et de construire de façon audacieuse. Or, le nouvel élargissement de l’UE, catalysé par l’invasion russe de l’Ukraine, dépassera largement celle-ci1 et en bouleverse le fonctionnement. C’est pourquoi il peut être saisi comme une opportunité pour avancer vers une « construction alter-européenne » à la fois solidaire de tous les peuples qui souhaitent la rejoindre et porteuse de paix si elle est juste – donc décoloniale et contre tous les impérialismes.
La démarche de LFI à l’égard de l’UE nous intéresse quand elle ambitionne de « mener des combats concrets – pas pour faire fonctionner leur système » et qu’elle veut « s’opposer aux crimes de guerre sans exception »2. Ainsi, nous la soutenons quand elle se dresse (point 15) contre la « co-gestion de la commission européenne (CE) par la droite, les socialistes et les macronistes », soulignant que la CE et sa présidente sont responsables du « soutien inconditionnel à la politique criminelle de Netanyahou contre les Palestiniens, des traités de libre-échange, des politiques d’austérité et du marché de l’énergie qui fait exploser nos factures ».
Lutter dans/hors/contre l’UE avec les peuples concernés
Par contre, nous ne pouvons soutenir la posture adoptée aux points 12 et 14 – « refuser l’entrée de l’Ukraine dans l’UE » et « incarner le camp de la Paix »3. Elle est inaudible en Ukraine : le rejet de pays plus pauvres rappelle le rejet du plombier polonais, face aux adhésions de 2004-2007 des pays d’Europe centrale et orientale… Et c’est omettre d’exiger une « paix décoloniale » sans rapport de domination et d’occupation.
Mais il faut expliciter la démarche globale d’une gauche critique de l’UE, de ses politiques dominantes et de ses traités : en France, nous avons milité pour le « non » au Traité constitutionnel européen en 2005. Ce qui n’impliquait pas que nous prônions un frexit (l’exit ou sortie de la France de l’UE ou de l’euro). La question concrète était : est-ce que le repli souverainiste national était (est) plus favorable aux résistances ? Ou bien vaut-il mieux pousser les luttes pour une justice sociale et environnementale dans/hors de l’UE – avec désobéissance contre des politiques impopulaires et injustes menées par des institutions européennes4 aux diverses échelles articulées où elles s’appliquent (local, national, européen) ? Il s’agit alors d’aller vers une mise à plat des traités et l’invention d’une autre Europe pour défendre d’autres droits internationaux.
Ce sont de « grandes crises », et non un quelconque projet univoque préétabli qui ont poussé pragmatiquement à des transformations majeures de la construction européenne – évidemment toutes décidées par les forces sociales et politiques dominantes et « par en haut », mais sans vision « bourgeoise » unifiée.
Des crises monétaires internationales ont contribué à la mise en place d’abord du SME (Système monétaire européen) en 1979 autour de l’Écu, puis de l’UEM (Union économique et monétaire) autour de l’Euro après les accords de Maastricht en 1992. Sur un autre terrain, la crise yougoslave des années 1990 parallèlement à l’éclatement de l’URSS a favorisé la mise en place d’une « gestion » euro-atlantiste des Balkans, permettant le maintien puis le redéploiement de l’Otan en Europe après la dissolution du Pacte de Varsovie, associée à la fin de l’URSS en 1991 et de la guerre froide.
Lutter pour une Europe sociale
Le choix d’adhérer – et de rester – ou pas dans l’UE n’est pas une question « de principe » mais d’analyse concrète : nous nous abstenons d’en juger à la place des peuples et forces progressistes concernées tout en exprimant notre analyse critique de l’UE. Ainsi, comme nous l’avons écrit dans une tribune collective récente : « En aucun cas nous ne défendons une “forteresse Europe” contre la demande d’adhésion de l’Ukraine dévastée par une guerre impérialiste ; pas plus qu’il ne fallait défendre une “Europe des riches” contre l’adhésion de pays appauvris par les destructions néolibérales à l’œuvre depuis des décennies dans la périphérie de l’UE. »5
Le « sacrifice » des budgets sociaux n’est en rien dû à l’aide nécessaire à la résistance armée et non armée ukrainienne. Les politiques d’austérité cherchent à s’imposer depuis longtemps, sans guerre ; mais les « profiteurs de guerre » prolifèrent – et peuvent être taxés. La dénonciation de « notre propre impérialisme » doit être concrète et notre vigilance permanente : bien sûr les puissances dominantes n’aident jamais « gratuitement ». C’est pourquoi la plate-forme du Réseau européen d’aide à l’Ukraine (RESU/ENSU)6 auquel le NPA a adhéré dès sa création au lendemain de l’invasion russe, exige (avec nos camarades ukrainienNEs) l’annulation de la dette ukrainienne et le refus de tout conditionnement néo-libéral des aides occidentales.
Catherine Samary
- 1. Il concerne l’Ukraine mais aussi (au moins) la Moldavie et les Balkans de l’Ouest, reconnus candidats avant ou pendant l’invasion russe, faisant passer l’UE de 27 à 34 membres.
- 2. Voir l’introduction du programme d’Union populaire synthétisé en 15 points.
- 3. Voir la tribune de Daria Saburova du 15 mars : https://blogs.mediapart…
- 4. Voir écrit face à la crise grecque https://www.cadtm.org/Pa…
- 5. Extraits de la tribune collective en date du 9 avril 2024 :https://blogs.mediapart…