Sans grande surprise, la candidature d’Éric Zemmour bouscule le paysage au-delà des extrêmes droites et percute la campagne de Marine Le Pen. Militantisme décomplexé d’un côté, implantation électorale de l’autre : les deux se nourrissent. Au-delà du mercato des renégats de dernière minute, la dynamique enclenchée pourrait, sans contre-offensive radicale de notre camp social, annoncer une période particulièrement difficile.
Adhérer n’est pas militer activement sur le terrain. Il n’empêche que le mouvement est notable. Les quelque 85 000 adhésions à « Reconquête ! » seraient réparties en trois tiers : des primo-militants ; des ex de l’UMP-LR ; des ex du FN-RN. Chacun y trouve son compte : candidat naturel de la droite pour celles et ceux qui ont « l’impression de revivre les années Sarkozy » ; ou « cure de jouvence » pour celles et ceux qui retrouvent leur militantisme de jeunesse au FN.
Ralliements opportunistes
Les ralliements à Zemmour, venus un par un du RN, sont plus opportunistes qu’idéologiques. Il suffit d’étudier le projet de référendum de Marine Le Pen avec un texte de loi sur l’immigration. Du concret et rien d’aseptisé. Certains y voient l’effet Zemmour et estiment que Marine Le Pen court après lui. C’est peut-être aussi le contraire. Les propositions de Reconquête ! sur la justice, l’immigration et l’économie sont quasi toutes déjà agitées par le RN. Là où les visites de Zemmour passent inaperçues, ou tournent au fiasco, celles de Marine Le Pen présentent le visage d’une candidate aimée par « les "petites gens" » (Robert Ménard sur BFM). Avec ses autobus customisés sillonnant les régions pour un objectif de « 5 000 marchés », la campagne de Marine Le Pen ne se limite pas aux comices agricoles. Depuis Madrid, pour la suite du Sommet conservateur de Varsovie, Marine Le Pen a reçu le soutien de Viktor Orban : « J’espère que les Français éliront quelqu’un qui défend la famille, la chrétienté et s’oppose aux migrations. Marine Le Pen est ce genre de dirigeante ». Le soutien est aussi financier car le RN a trouvé un prêt de 10,6 millions d’euros auprès d’une banque hongroise.
Dialectique entre deux tendances
Il existe une divergence d’orientation entre « l’union des droites » et le « ni droite ni gauche ». Partisane de la deuxième option, Marine Le Pen cherche à parler aux classes populaires. Or elle voit dans les défections récentes « des gens qui depuis le début de la campagne [lui] reprochent de faire du pouvoir d’achat une priorité ». Marine Le Pen cherche à se construire une assise populaire. Sur le fond, son programme économique ne se différencie pourtant guère de Zemmour. Marine Le Pen gagne même des points dans les milieux patronaux avec une modulation de sa mesure phare de retraite à 60 ans, un refus de la hausse du SMIC et la multiplication des promesses d’exonération de charges patronales. Enrobé dans une démagogie nationaliste qui vise à « ne pas taxer l’enracinement mais taxer la spéculation », son programme économique, censé parler à un « bloc populaire » (selon Alain de Benoist), est une vaste supercherie. Il faut toujours le marteler.
Nous sommes face à deux types de menaces. Avec Reconquête !, un dynamisme militant sur fond de discours décomplexé, alliant un large spectre droite extrême/extrêmes droites, préfigurant un bloc nationaliste à l’offensive. Du côté de Marine Le Pen, une « force tranquille », qui opérerait une synthèse entre national et social, en renforçant son influence dans les couches populaires. Ces deux tendances aujourd’hui concurrentes pourraient se combiner. Il s’agit donc de comprendre la dialectique entre les deux, en envisageant tous les cas de figures à venir, sans faire l’erreur de se focaliser sur Zemmour au risque d’enterrer trop vite la campagne de Marine Le Pen. Seule un intense travail unitaire pour analyser la situation et préparer les luttes de demain fera tourner ce vent mauvais.