Pour résorber un « déficit public » résultant de ses propres choix politiques, le pouvoir lance semaine après semaine de nouvelles pistes. Elles ont toutes jusqu’à présent, une caractéristique commune : s’en prendre aux salariéEs, en particulier les plus précaires, en épargnant le capital et les grosses fortunes. Après la nouvelle contre-réforme de l’assurance chômage menée au pas de charge, c’est maintenant l’indemnisation des arrêts de maladie qui est dans le viseur gouvernemental.
Le 30 mars, dans une interview au quotidien Ouest-France1, Bruno Le Maire, rétropédalait sur l’une de ses précédentes propositions : la remise en cause des affections de longue durée (ALD)2. C’était immédiatement pour avancer un autre projet : « Les arrêts maladies ont augmenté de 10 % depuis le covid ! Leur multiplication pose une vraie question. Ce débat doit être ouvert dès cette année afin de lutter contre les abus. »
De un à quatre jours de carence supplémentaires
Les salariéEs du secteur privé ne perçoivent actuellement pas d’indemnités de la Sécurité sociale pendant les trois premiers jours d’un arrêt de maladie. Le projet gouvernemental consisterait à augmenter ce délai de non-indemnisation de deux jours, trois jours voire quatre jours. Les économies attendues seraient d’un milliard d’euros.
Des voix patronales critiquent ce projet... en proposant d’aller encore plus loin. Selon une enquête de la DREES3, près de 2/3 des entreprises dédommagent partiellement ou totalement leurs salariéEs des trois jours de carence actuels. Aussi le patronat n’est-il pas favorable à leur augmentation s’il doit en en payer les effets. Il préconise la mise en place de jours de carence dits « d’ordre public », qui ne soient ni à la charge de la Sécurité sociale… ni à celle des employeurs. En clair, les salariéEs seraient alors totalement privéEs de rémunération4.
Une construction idéologique…
Avant même de s’interroger sur les causes possibles de l’augmentation des arrêts de maladie depuis l’épidémie de covid, Bruno Le Maire en fournit une explication et une seule : les prétendus « abus » de malades cherchant à « frauder » avec la complicité de médecins « laxistes », signant des certificats de complaisance.
Pas un instant il ne prend en compte ce que professionnels, associations et syndicats n’ont cessé de dénoncer : la détérioration des conditions de travail aggravée par la crise sanitaire, les effets d’un management toxique se traduisant par des « burn out » en constante augmentation, la précarisation du travail et ses effets délétères tant sur le plan physique que psychique.
Chômage ou maladie, Macron, Attal et Le Maire, ne font que ressasser les poncifs réchauffés, de la droite et à l’extrême droite : le mythe de la « fainéantise » des salariéEs toujours à l’affût de moyens pour ne pas travailler en « abusant » d’une protection sociale « trop généreuse ». Les mêmes vieilles recettes en découlent : priver les « profiteurs » de revenus pour les remettre au travail et renflouer les caisses de la protection sociale.
…démentie par les enquêtes de la statistique publique
Cette construction idéologique fait les beaux jours des plateaux de télévision. Elle est pourtant démentie par les études par les études statistiques des ministères eux-mêmes.
Pas plus que le durcissement de l’indemnisation du chômage n’a montré d’efficacité pour le retour à l’emploi, l’instauration des jours de carence n’a les résultats annoncés sur les arrêts de maladie. L’enquête de la DREES déjà citée le confirme : « Les résultats indiquent que les salariés couverts durant le délai de carence n’ont pas de probabilité plus élevée d’avoir un arrêt dans l’année, mais ont des durées totales d’arrêt maladie significativement plus courtes ». En d’autres termes, les jours de carence ne diminuent pas le nombre d’arrêts de maladie, ils en augmentent la durée.
Le document de la DREES précise : « Les incitations monétaires risquent d’inciter au présentéisme (soit le fait de venir travailler en étant malade), lui-même source de coûts indirects (ex : contagion, perte de productivité, dégradation de l’état de santé découlant in fine sur des arrêts plus longs). » L’auteure en tire la conclusion que la compensation des jours de carence par les employeurs relève d’un choix rationnel permettant de « limiter les coûts liés au présentéisme », sans pour autant augmenter le nombre des arrêts de travail même « lorsque cette prise en charge atteint 100% du salaire ».
Ne rien lâcher, remobiliser
Macron et le gouvernement Attal ont engagé un « concours Lépine des mesures d’économie », selon l’expression de l’ancien ministre macroniste Clément Beaune. Ce « concours » n’a qu’un but faire payer aux classes populaires la facture du « quoi qu’il en coûte », et revenir aux politiques libérales les plus dures. La protection sociale dans toutes ses dimensions (chômage, santé, retraites) est au cœur de cet enjeu de classe. Au sein même du camp présidentiel des doutes s’expriment sur la possibilité d’imposer ce nouvel et violent accroissement de l’austérité. Signe de cette inquiétude, Attal vient de concéder la mise en place d’une « mission » sur la taxation des « rentes ».
Tout dépend désormais de la capacité du mouvement social et ouvrier à ne rien lâcher sur cette question et à mobiliser, faute de quoi la colère sociale dévoyée risque d’avoir pour seul exutoire, le vote pour l’extrême droite.
- 1. Bruno Le Maire, « Nous ne voulons pas toucher aux affections de longue durée », Ouest-France, 30 mars 2024.
- 2. Le remboursement 100 % par la Sécurité sociale des soins pour certaines maladies longues occasionnant des prises en charge coûteuses.
- 3. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, organisme officiel travaillant sous la responsabilité du ministère de Travail et de la Santé. Catherine Pollak, « L’effet du délai de carence sur le recours aux arrêts maladie des salariés du secteur privé », Dossiers Solidarité et Santé, n° 58, janvier 2015.
- 4. Dans le secteur public, la journée de carence (non compensée) a été rétablie par E. Macron.