La privatisation de l’Aéroports de Paris (ADP) fait scandale, y compris parmi des gens qui n’ont aucune opposition de principe aux privatisations, parce qu’elle se trouve au confluent d’au moins deux questions : la nature d’un aéroport et les soupçons de cadeaux et collusion avec certains intérêts capitalistes particuliers.
La question d’ADP est instrumentalisée par des politiciens dont certains (du côté de la droite et du PS) ont voté avec allégresse les précédentes privatisations et qui y voient un moyen de Macron mettre en difficulté. D’où la procédure de référendum d’initiative partagée (RIP) qui ne pourra se concrétiser qu’avec l’accord du Conseil constitutionnel, et nécessite la collecte de plus de 4,5 millions de signatures.
L’État est résolu à privatiser
Depuis 30 ans, les privatisations se font au bénéfice de groupes capitalistes, par des procédures et des méthodes souvent peu transparentes, Périodiquement, des informations fuitent sur telle ou telle opération, montrant la collusion entre des cabinets ministériels et des intérêts privés (banques chargées de réaliser les privatisations, groupes achetant les parts du capital de ces entreprises). Pour les entreprises publiques les plus importantes, la privatisation se fait souvent par morceaux : l’État vend une partie du capital et jure que ce qu’il conserve est suffisant pour contrôler, puis vend un autre morceau, etc.
C’est ce qui a été engagé pour Aéroports de Paris, transformé en société anonyme en 2005 : l’État est resté actionnaire majoritaire à plus de 67 %, puis a cédé de nouvelles participations, pour ne posséder actuellement que 50,6 % du capital, le reste étant détenu par divers groupes dont Vinci (8 %). Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la vente de ces 50,6 %, qui représentent environ 10 milliards d’euros. Et l’État y est résolu malgré tous les enjeux que représente un aéroport : sécuritaires (des avions et des passagers), économiques (redevances des compagnies aériennes, aménagement des approches et des abords) et sociaux (pour les salariéEs). Et Vinci est naturellement sur les rangs.
Le précédent toulousain
Manque de chance pour le pouvoir, cette privatisation s’effectue dans l’ambiance créée notamment par les Gilets jaunes autour de la gestion des autoroutes, et après le fiasco de celle de l’aéroport de Toulouse, décidée en 2014 sous l’impulsion directe de Macron, alors ministre et responsable des opérations. L’investisseur (chinois, mais tous les capitalistes se valent), acquéreur des actions de l’État, s’est versé des dividendes faramineux et cherche maintenant à aller faire du profit ailleurs et à revendre ses parts beaucoup plus cher qu’il ne les a achetées. De plus, face aux irrégularités de l’opération, le 16 avril dernier, la cour administrative d’appel de Paris a annulé la procédure de vente des actions.
Le gouvernement répète en boucle que le futur acheteur des actions de ADP ne pourra pas faire ce qu’il veut, mais l’expérience de la privatisation des autoroutes montre que en réalité les sociétés privées font effectivement ce qu’elles veulent : c’est ce que dit en termes plus polis la Cour des comptes dans un document remis le 18 avril dernier (« Les pouvoirs publics sont souvent apparus en situation de faiblesse »).
Mobilisation des salariéEs ?
L’idéal serait bien sûr que travailleurEs des secteurs concernés et usagerEs se dressent en masse pour faire reculer Macron. C’est le sens de la bataille que devraient mener les organisations syndicales. L’expérience prouve que c’est très difficile. En 1997, au moment de la privatisation de France Telecom, les syndicats et en particulier Sud avaient organisé une mobilisation multiforme : grèves et référendum des salariéEs auquel avaient pris part 64 000 agentEs, dont 80 % s’étaient prononcés contre la privatisation. Tout cela avait permis d’arracher des garanties pour les personnels en place mais n’avait pas empêché la privatisation décidée par le gouvernement socialiste. D’autres engagements dans la privatisation se sont fait en connivence avec des gouvernements de gauche ou de droite et les directions syndicales : Air France avec le ministre communiste Gayssot, EDF-GDF avec la direction de la CGT Mines énergie et confédérale1.
Pour mettre en échec Macron sur ADP, la résistance des salariéEs est un instrument essentiel mais elle se heurte notamment à la diversité des entreprises et des corporations. Une mobilisation populaire serait également nécessaire. Certaines prémisses existent : le 9 mars, environ 150 Gilets jaunes ont manifesté une heure durant dans le terminal 1 de Roissy, et le 9 avril des Gilets jaunes se sont rassemblés devant le Sénat. Tout cela est encore faible mais peut et doit grandir. Il serait en effet dangereux de s’en remettre à la seule campagne référendaire, même si elle peut avoir son utilité, à l’instar des luttes d’entreprises où on est parfois amené à articuler mobilisation des salariéEs et recours judiciaires.
Henri Wilno
- 1. Adrien Thomas, Une privatisation négociée. La CGT à l’épreuve de la modification du régime de retraite des agents d’EDF-GDF, L’Harmattan, 2006.