Trois semaines de grève dans les Monoprix marseillais. Grève pour des salaires de misère mais aussi harcèlement hiérarchique à la clé, Après les Lipton, les Monoprix sont devenus les stars de la contestation locale. « Bougez-vous le cul ! » Vous n ‘êtes que des branleurs ! » Est-ce le sergent chef de Platoon qui s’exprime dans de si chastes périphrases, mêlant un humour potache avec des répliques faubouriennes ? Ou alors s’agit-il de cette mise « en valeur de votre potentiel » comme on peut le lire sur le site Monoprix. Vous êtes au rayon alimentaire de Monoprix, au magasin de la Canebière, la plus belle artère du monde méditerranéen, à en croire le populo marseillais. Les caissières et les magasiniers y sont en grève depuis 18 jours. Certes à Canebière ils ne sont plus que treize irréductibles, tandis qu’à Monoprix Prado, dans les quartiers sud, plus chics, ce sont encore trente cinq employés qui campent sur le parking dans un doux été indien. Les revendications sur les salaires sont au cœur de cette affaire comme dans toute la distribution. Mickael, embauché depuis 8 ans dans la société, touche la mirifique solde de 1050 euros pour un 35 heures, qu’il n’ a obtenu que depuis janvier 2010, tandis que Nadine, en caisse depuis 18 ans, touche au point prés la même somme. L’ancienneté semble reconnue mais un peu tard. Le groupe Monoprix se pavane avec « une politique salariale motivante » comme m’explique Mickael payé au SMIC : « Tu touches une prime si tu remplis le rayon correctement : 75 euros le trimestre mais si tu manques un seul jour, tu la perds ! » La motivation n’est pas un vain mot à Monoprix. Monoprix appartient depuis 2007 à 50 % à Casino, la multinationale détenue par Jean Charles Naouri, le fils de Bône, nourri aux vers grecs., comme aime à le répéter à l’envi les hagiographes mondains. Le groupe possède les magasins de proximité Spar, une délicieuse contraction batave qui signifie : « Ensemble pour plus de profits », Leader Price, « Le goût de vivre moins cher » avec le trouvère Jean Pierre Coffe, pour nourrir les pauvres, Franprix, qui propose « à deux pas, tout est là » une proximité qui rivalise avec d’autres commerces du même groupe à l’enseigne différente. Outre ces appellations qui proposent des produits similaires à des prix différents, Casino colonise la campagne en rachetant les épiceries pour les franchiser sous le nom de Vival, possède Go Sport, Géant, Petit Casino, Courir… un empire de marchandises qui génère 26 757 millions d’euros de chiffre d’affaires. Devant le Monoprix Canebière où campent les grévistes, on ignore qu’on appartient à une famille si puissante. Outre un rejeton de la famille Giscard, un autre de chez Rothschild, le brillant ardéchois Marc Ladreit de Lacharrière, qui administre autant l’Oréal que Casino ou encore l’omniprésent faiseur d’opinion Pierre Giacometti, ce sont là, un chapelet de petits marquis qui siègent les uns chez les autres et s’offrent des dividendes et autres quibus pour approuver des comptes. Ceux là ne sont pas aussi défaitistes que Samie, la déléguée CGT qui « n’attend plus rien de son entreprise » à qui elle reproche ses méthodes « psychologiques, ses techniques de management intrusifs. » Mais Samie est probablement jalouse de ne toucher que le SMIC alors que son grand patron est pourtant un type de gauche puisqu’ il était directeur de cabinet du bon Pierre Bérégovoy. C’est cet ancien de Rothschild qui a déréglementé les marchés financiers. Pensez donc, les socialistes n’y sont pour rien. Cet administrateur de Natixis survit avec 452 millions d’euros. Samie, elle , plastronne du haut de son gros SMIC. Monoprix, c’est « le partage des savoirs » : « Vous allez pointer au chômage, ce que vous faites, je le fais en un rien de temps » allié au partage des recettes. Le vrai problème à Marseille, ce sont les deux sous directeurs qui sont « des bordilles » comme expliquent les salariés, harcelés. Nadine a porté plainte pour Harcèlement et depuis son chef s’est calmé : « Je suis prise en grippe, mais depuis que j’ai porté plainte contre elle, elle m’a lâché. » Depuis deux ans qu’ils sont en poste, ils ne cessent de houspiller le personnel : Absence de bonjour, arrêts maladies qui se multiplient et politesses du genre : « Tu t’assoies et tu tais ! » Avec ceci il faut sourire en faisant passer les produits « Commerce équitable » de la société Alter Eco présidé par le businessman Tristan Lecomte, lui aussi, un ancien de chez l’Oréal. A Monoprix, on a opté pour une montée en gamme : Même produits mais avec un supplément d’âme, des emballages plus classes, un rayon énorme pour l’environnement, du « bio pour la petite mémé », et de l’équitable pour consoler tout le monde de consommer. Côté jardin, la politique salariale est stagnante, petits contrats étudiants, horaires variables, 20 heures fréquents, et CDD. Au Prado, c’est un client qui défend les grévistes : « Je connais le vendeur de légumes, le boucher…ils ont des mots gentils tous les jours. Je dépense 200 euros par semaine ici. La poissonnière est extraordinaire, elle connaît son métier. » Sans hausser le ton - - il continue, « Les cadres ont des places de parking, pas les petites mains qui prennent des amendes. » Il conclut admiratif : « Ce sont des combattants. C’est éprouvant de supporter ceux qui ne font pas grève. Je me souviens, j’avais félicité le directeur pour la bonne ambiance, le lendemain c’était la grève ! » A Prado, le feu couvait depuis des mois. Les promesses de Sarkozy ne se concrétisent que pour un clan, et pas le « clan » des travailleurs. Travailler plus pour gagner moins, voilà ce qu’on entend parmi les grévistes. Il est déjà 21heures et toutes les nuits les grévistes occupent la rue. Le magasin ferme. Quelques jaunes sortent tandis que la chorale militante, « La Lutte enchantée » entonne « Merci patron » pour les plus beaux sourires des grévistes, épuisés. On fait quoi pour vous aujourd’hui ? …Grève !